dimanche 1 novembre 2009

Le Noeud Gordien, épisode 94

Les nouveaux détectives
Édouard avait donné rendez-vous à Alexandre Legrand et à Claude Sutton à deux coins de rue de l’édifice qu’il avait surveillé toute la semaine.
Il avait pu sentir que leur petite enquête ne les intéressait plus autant qu’aux premiers jours. Si ça n’était de son obstination, elle aurait peut-être déjà été abandonnée – et il n’aurait jamais découvert cette étrangeté qu’il voulait leur présenter. Claude et Alex avaient néanmoins perçu l’urgence et l’excitation dans la voix d’Édouard; ils avaient accepté de le rencontrer séance tenante.
Ils arrivèrent ensemble, conduits par Claude. Alexandre avait les yeux cernés et un gros café à la main. Édouard n’y avait pas pensé : son appel devait l’avoir tiré du sommeil diurne auquel son emploi le condamnait.
 « Merci à vous deux d’être venus si vite », dit-il sans autre préambule.
Sutton demanda : « Qu’est-ce qui se passe? Est-ce qu’il y a du neuf par rapport à notre homme?
— On peut dire ça! Deux choses : premièrement, nous ne sommes pas les seuls qui s’intéressent à lui.
— Qui d’autre?
— Un certain Laurent Hoshmand est venu me parler directement dans ma voiture…
— Et?
— Il m’a fait remarquer quelque chose. Et c’est pour ça que vous êtes ici. Alexandre? »
Alex sursauta. Son regard s’était fixé sur l’infini et son esprit s’était mis à divaguer sans but. « Tu as amené la caméra comme je te l’ai demandé? » Il fit oui de la tête avant de la lui tendre.
« Alex, tu vas aller jusqu’à l’édifice là-bas; tu vas entrer dans le lobby et tu vas essayer de trouver des informations sur notre homme.
— Quel genre d’informations?
— Je ne sais pas… Peut-être une liste des locataires, peut-être une boîte aux lettres... Un nom de compagnie, n’importe quoi…
— Tu as besoin de nous autres pour ça? Comment ça se fait que tu n’y es pas allé toi-même?
— Justement : j’ai besoin que tu y ailles pour voir… En fait, vas-y, tu comprendras après. Tu as ton cellulaire?
— Oui.
— Go! » Alexandre s’éloigna non sans jeter quelques regards agacés à son oncle. Il n’était pas le seul à n’y rien comprendre : Claude avait les sourcils froncés. Édouard pensa d’abord qu’il s’agissait d’une inquiétude envers Alex; il soupçonna ensuite que Claude se préoccupait de sa santé à lui… sa santé mentale. Il ne pouvait pas le blâmer : les gestes qu’il aurait oubliés sans le savoir si Hoshmand ne les avait pas saisis sur film le faisaient douter de lui-même.
Ils suivirent Alexandre à distance, caméra à la main.
Alex approcha de l’édifice. Devant la porte d’entrée, il leva la tête et regarda vers le haut. Il examina la façade pendant quelques secondes, il but une gorgée de café, regarda l’heure et se mit en marche dans une direction qui s’éloignait à la fois de l’édifice et de ses compagnons.
« Qu’est-ce qui se passe? », demanda Claude. « Il nous abandonne?
— On va voir », répondit Édouard, de plus en plus excité. Il téléphona à Alexandre.
« Salut Alex! Qu’est-ce que tu fais?
— Je m’en allais me coucher…
— Est-ce que tu as vu dans le lobby? » Silence. « Je pense que oui », répondit-il finalement.
« Viens nous rejoindre, on est là… Regarde à trois heures… » Alexandre se détourna et fit un signe à son oncle. Ils raccrochèrent et se retrouvèrent à mi-chemin.
« Et puis? Qu’est-ce que tu as vu dans le lobby? »
Alex sembla fouiller dans ses souvenirs. Il répondit avec un « rien d’important? » peu assuré.
« Je n’étais donc pas fou! », dit Édouard avant de finir de leur raconter sa rencontre avec Hoshmand – et leur montrer l’enregistrement des multiples approches avortées dont il ne conservait aucun souvenir.
Alex dut lui-même voir l’enregistrement de sa propre approche pour vraiment comprendre ce qu’Édouard essayait de leur faire comprendre. Claude demeurait incrédule; il proposa de tenter l’expérience pour lui-même. À travers le viseur de la caméra, Édouard aperçut Claude s’approcher de l’édifice, poser la main sur la porte… et entrer dans le lobby.

À l’étage, Gordon Abran avait vu Alexandre s’approcher. Il n’avait pas eu de peine à le reconnaître : il était un temps où il figurait de façon proéminente dans son Nœud, fils de Philippe Gauss, agent de distribution de la première vague du composite O. Il avait remarqué Claude Sutton et Édouard Gauss plus loin, caméra à la main. Il avait compris trop tard leur petit jeu : il n’avait pas eu le temps d’annuler son dispositif de sécurité avant qu’Alexandre ne le déclenche. Ce dispositif perdait tout son sens si on venait à en réaliser l’existence; Gordon ne voulait assurément pas leur fournir l’occasion d’étudier ses effets, même à tâtons.
Lorsque Sutton s’approcha quelques minutes après, c’était chose faite, et tant pis s’il entrait dans le lobby. Il n’y trouverait aucune information substantielle. Au contraire, tant mieux s’il réussissait là où les autres avaient échoué : cela ne manquerait pas de les confondre et de les conduire à remettre en question ce qu’ils pensaient avoir trouvé.
Il savait que Gauss surveillait son quartier-général, mais il l’avait cru inoffensif, protégé qu’il était par son dispositif. Il était peu probable que le trio l’eût mis au jour par ses propres moyens… Un autre des Seize avait dû contribuer à rendre possible cette « découverte ». Plus de doute possible : il n’était pas seul dans La Cité. Une Déclaration serait imminente.
Il avait cependant un problème plus urgent à régler, une menace à son anonymat : la curiosité opiniâtre d’Édouard Gauss. Il fit devancer sa prochaine rencontre avec Gianfranco Espinosa : le temps était venu de recourir aux ressources de son organisation pour la seconde fois.

1 commentaire:

  1. Le rythme est fluide dans cet épisode aussi. La narration décrit habilement les actions des personnages et les dialogues sont sonores; on s'y voit presque, à côté d'eux.

    Est-ce que Gauss et Alex seront confondus par l'entrée de Sutton dans l'édifice? Comment le problème de la curiosité menaçante d'Édouard sera réglé par Gordon et Espinosa?

    SH

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