dimanche 15 novembre 2009

Le Noeud Gordien épisode 96

L’œil du cyclone
Les dernières semaines avaient été marquées par le tourment des remises en question profondes. Mais lorsque Geneviève Gauss avait arrêté sa décision, c’était comme si elle avait trouvé l’œil du cyclone, un îlot de calme au beau milieu des perturbations.  Une fois la voie trouvée, toutes les autres se révélaient à elle comme autant de fausses pistes. C’est aujourd’hui qu’elle avait choisi de faire connaître sa décision à Édouard. À l’approche de ce nouveau face-à-face, le stress avait repris du terrain. Elle devait se calmer avant qu’il n’arrive…
Elle venait de finir son maquillage. La fatigue accumulée qui tirait ses traits lui semblait moins apparente, quoique ses gestes secs et son cou tendu au point de la douleur ne pouvaient profiter d’une dissimulation cosmétique. Elle devait vraiment se calmer. Il était 11:38. Édouard s’était annoncé pour midi. Typiquement, elle attendait l’heure pile pour une dose, mais la présence d’un visiteur l’en empêcherait… Vu les circonstances et son besoin criant de relaxation, elle était justifiée de modifier son horaire, non?
Elle fit tourner la clé du petit coffre décoratif qu’elle s’était procuré récemment. Sa boîte à bijoux était devenue trop petite pour contenir son attirail : le coffre cachait un petit sachet de cocaïne, deux grammes de cannabis, une petite pipe de métal, un briquet, un papier avec deux numéros de téléphone mais surtout une cinquantaine de pilules d’O. Elle en prit une et la laissa dissoudre très lentement dans sa bouche. Lorsqu’elle ne la prenait pas d’un coup, elle ne ressentait pas le pic orgasmique qu’elle appréciait d’ordinaire; l’effet était plus diffus mais plus long à disparaître. Graduellement, le frisson familier se répandit en elle. Elle se sentait déjà plus sereine. Machinalement, elle plongea la pointe d’une lime à ongles dans le sachet et la porta à sa narine. Une profonde inspiration et la foudre frappa son cerveau. Elle était prête.

Édouard stationna sa voiture devant cette grosse maison qui lui devenait un peu plus étrangère de semaine en semaine. Il n’était plus exactement le même homme que celui qui avait fui devant l’infidélité de sa femme. Trois mois auparavant, l’idée qu’il puisse lui-même demander qu’on prolonge son congé forcé aurait été inconcevable. Sa thérapie progressait à petits pas… Mais elle lui permettait de prendre du recul par rapport à lui-même pour la première fois. Il avait mis sa vie sur des rails à la fin de son adolescence et il n’avait jamais remis en question ses orientations depuis. Les années lui avaient fait oublier que c’était son choix de continuer dans cette lancée… Ou qu’il pouvait donner un coup de barre si et quand l’envie lui prenait. Mais dans quelle direction? Heureusement, Geneviève comprenait que le processus prendrait du temps. Elle me le doit bien, lui disait une petite voix. Après tout, j’ai accepté de voir au-delà de son infidélité.
Avec un soupir, il frappa à la porte. C’est toujours étrange de se comporter comme un visiteur dans sa propre maison…
C’est une Geneviève détachée et froide qui l’accueillit. Édouard sentit quelque chose se nouer dans son ventre : il ne s’attendait pas à pareil changement d’attitude. Leur dernière rencontre avait été quelque peu distante, certes, mais chaleureuse. Après les salutations d’usage, elle plongea : « Ça ne peut plus marcher ».
Édouard devint livide.
« Je comprends que tu sois en colère contre moi, j’ai pas été correcte… Toi, tu ne travailles pas en ce moment paraît-il, mais tu restes absent de ma vie, les filles ne te voient pas plus qu’avant, ces temps-ci je suis seule à la maison, en même temps je me rends compte que ça fait un moment que c’est comme ça, est-ce que c’est ça la vie de couple? La vie de famille? Moi j’ai décidé que ce ne serait pas ça ma vie. Que ma vie ne serait plus ça. Nos vies vont changer, mais ça n’est plus ça que je veux. »
Elle avait parlé à toute vitesse, d’un seul souffle. Elle semblait tendue comme un ressort, prête à bondir.
Les tripes d’Édouard subirent une nouvelle torsion. « C’est… fini? C’est final? »
Geneviève fit oui de la tête. Elle conservait son attitude distante malgré ses yeux larmoyants. « T’es important pour moi, tu es le père de nos enfants et ça ça ne changera jamais mais maintenant je vais plus penser à moi en tant que personne, en tant que femme, et je te souhaite de faire pareil. » Elle l’embrassa sur la joue. « Prends soin de toi. »
Elle monta en courant presque vers leur chambre. Vers sa chambre, laissant Édouard seul avec son choc.
Les pensées d’Édouard gravitèrent spontanément vers l’impact que cette nouvelle aurait sur leurs filles. En le réalisant, il se surprit de sa propre attitude détachée qui n’avait rien à voir avec la vague de stupéfaction dépressive qui avait suivi la découverte de l’infidélité de Geneviève. Il ressentait assurément une certaine amertume, mais étrangement, il sentait aussi fleurir en lui un sentiment magnifique et rare… Un sentiment qui lui donnait l’impression d’avoir porté un poids assez longtemps pour l’oublier, un poids qu’on venait de lui enlever.
 À l’étage, Geneviève ressentit des sentiments confus en voyant la voiture de son ex tourner le coin de la rue Hill. Une boule d’émotion menaçait de la faire éclater en sanglots d’un moment à l’autre… mais elle vibrait aussi d’un élan d’espoir.
Elle composa le numéro de son ancien amant; elle tomba sur sa boîte vocale. Comme d’habitude : il devait filtrer ses appels. « Allô Mitch, c’est moi », dit-elle simplement en faisant de son mieux pour paraître désinvolte. « Ma vie sera plus simple à partir d’aujourd’hui… rappelle-moi, ok? »
Son cœur battait la chamade : elle avait encore besoin de se calmer. Elle bourra sa petite pipe.

1 commentaire:

  1. (...)il n'avait jamais remis ses orientations depuis...
    C'est peut-être juste moi, mais je ne saisis pas tout à fait cette phrase... Il n'avait jamais remis (en question) ses orientations depuis?

    Ah, ces moments où fin amère et nouveau départ libérateur s'emmêlent... Que deviendront Geneviève et Edouard l'un sans l'autre?

    Et qu'est-ce qui se passera avec Geneviève, nerveuse, qui consomme de plus en plus d'O et d'autres types de drogues?

    Sara

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