dimanche 23 août 2009

Le Noeud Gordien épisode 84

J'éprouve des difficultés avec mon éditeur de pages web; je vais donc publier l'épisode de cette semaine ici et l'ajouter à l'archive plus tard.

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Épisode 84 : Retrouvailles

Lors de leur dernière quasi rencontre, il avait résolu de ne plus la revoir.

Sur le coup de la découverte de la tromperie de sa femme, Édouard s’était dressé, tendu, comme un animal l’aurait fait devant la menace d’un autre mâle marchait sur son territoire. L’émotion avait cependant été soufflée instantanément, comme la flamme d’une bougie, laissant derrière le vide absolu et une froideur sépulcrale… C’est aussi froidement qu’il lui avait dit adieu en la renvoyant à son avocat. La réaction d’animal menacé n’avait duré qu’une fraction de seconde. L’idée de les surprendre, de casser la gueule de l’intrus avant de l’évincer de sa maison n’avait pas même eu le temps de lui traverser l’esprit… Il avait évité une scène en quittant les lieux.

Non, Édouard Gauss n’avait rien d’un animal. Et il commençait à réaliser que c’était peut-être un problème.

Il avait su respecter sa résolution : il ne l’avait pas revue depuis. Leurs filles étaient chez leur grand-mère, la maman de Geneviève; c’est là-bas qu’il leur rendait visite à coups de demi-journées. Surtout, sa thérapie avec le docteur Lacombe avait fait germer quelques réalisations qu’il commençait à comprendre intellectuellement, de façon distante, sans encore les avoir profondément intégrées… Leurs rencontres intensives – jusqu’à trois fois par semaine – avaient soulevé certaines caractéristiques de sa personnalité qu’il avait toujours considérées comme allant de soi, mais qui se révélaient peut-être des réflexes inappropriés.

La première était sa propension à ravaler sa colère sans l’exprimer et la vivre plutôt sous la forme de tristesse.

Il avait découvert qu’il n’y avait que deux situations capables de le faire sortir de ses gonds. La première était de compromettre son intégrité journalistique. Même ici, ses colères n’étaient généralement pas explosives mais plutôt mises entre parenthèses pour être vécues loin des responsables de cette compromission – qu’ils fussent des pairs mettant en doute ses affirmations ou, plus fréquemment, des supérieurs qui le muselaient dans l’exercice de son métier. La seconde n’était qu’hypothétique : il savait que si quelqu’un menaçait ses filles, ou pire encore faisaient d’elles des victimes, il serait capable de tout pour assurer leur protection – ou infliger une juste rétribution.

C’est dans sa relation avec sa femme que sa façon de gérer la colère était la plus manifeste. Pendant longtemps, sa fierté avait été de dire qu’il ne se disputait jamais avec Geneviève, que leur couple était une relation des plus harmonieuses. Il commençait à voir les choses autrement. Et si c’était plutôt qu’il ne se permettait pas d’exprimer ses insatisfactions? Au travail comme à la maison, n’était-il pas guidé d’abord et avant tout par son sens des responsabilités? N’était-ce pas cette tendance qui le conduisaient à bosser dans un emploi lucratif mais humiliant pour maintenir le niveau de vie d’une famille qu’il fréquentait à peine?

Graduellement, il en était venu à se demander si sa relation entière n’était pas fondée sur sa conception de ses responsabilités. Sa femme et lui s’étaient rencontrés très jeunes et il n’avait pas vraiment remis en question leur engagement depuis. Maintenant que Geneviève s’était révélée infidèle, elle avait ouvert la boîte de Pandore du réexamen des allant-de-soi…

Lorsqu’il s’était permis de se poser la question, la réponse lui était venue naturellement… Je ne l’aime pas. Et je ne suis pas certain qu’elle m’aime.

La brèche était ouverte; toutes les réflexions suivantes avaient concouru à affirmer sa réalisation. Il était maintenant prêt à la confronter et à officialiser leur séparation.

Par avocats interposés, ils avaient fixé la date et l’heure de leurs retrouvailles. À l’encontre des recommandations de son conseiller, il avait choisi de la rencontrer seule d’abord – la prise de conscience de ses réflexes ne le rendaient pas moins civil, surtout envers la mère de leurs enfants… Cette fois, il prendrait le temps de verbaliser ses reproches avant de mettre le point final à leur relation et commencer à discuter froidement de la division de leur patrimoine.

Il l’attendait patiemment avec la calme résolution de celui pour qui tout est décidé. Jusqu’à ce qu’il la revoie.

Bouffie, négligée, tremblante de sanglots contenus… Il ne l’avait jamais, jamais vue ainsi.

Il se leva, traversa de l’autre côté de la grande table qui était censée les séparer. Il la prit dans les bras. Et ils pleurèrent ensemble.

Après tout, le propre des réflexes n’est-il pas d’agir automatiquement, involontairement et pareillement à chaque fois qu’on se trouve confronté à une situation donnée?

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