Comme ils s’y attendaient, les rues ne portaient pas
d’identification. Quelques voitures étaient stationnées ici et là, toutes en
piteux état, certaines carrément réduites à l’état de carcasses barbouillées.
La section jouxtant le Centre faisait encore partie du quartier centenaire de La Cité ; on n’y trouvait pas les
routes quadrillées à l’équerre du Nord ou de l’Est mais surtout des rues
étroites à une seule voie. Le conducteur de la camionnette – le caméraman de
l’équipe – naviguait prudemment de manière à ne manquer aucun détour tandis que
le type de la sécurité jouait les copilotes tout en surveillant soigneusement
les alentours. Jasmine eut une pensée pour les correspondants à l’étranger qui
vivaient quotidiennement des situations semblables… ou pire encore.
Mais à mesure qu’ils s’enfonçaient dans le dédale, Jasmine
fut surprise de découvrir que la réputation du quartier s’avérait peut-être
surfaite après tout. Les environs n’avaient rien de bien séduisant, bien
entendu : des nids-de-poules gros comme des citrouilles, des éclats de
verre partout, des fenêtres placardées, des fils électriques pendant jusqu’à
presque toucher le sol, des détritus allant de la capsule de bouteille jusqu’à
une machine à laver échouée là on ne savait comment...
On lui avait si souvent répété à quel point les environs
étaient dangereux depuis qu’elle était petite fille qu’elle croyait qu’il
suffisait d’y mettre le pied pour qu’on l’assaille, qu’on la vole et qu’on la
tue… Mais outre le sérieux manque d’entretien, tout ça n’était que bitume et baraques, comme ailleurs en ville. Il y avait
bien des SDF qui traînaient un peu partout, mais étaient-ils moins nombreux que
ceux qu’on trouvait dans le Centre clinquant, à quelques centaines de mètres
derrière? Peut-être les voyait-on davantage ici qu’au milieu d’un flot constant
de gens d’affaire en cravate et tailleur, mallette de cuir à la main et gadget
dernier cri à l’oreille…
Le conducteur poussa un soupir de soulagement avant de
dire : « Je pense qu’on est arrivés! »
La scène de leur destination vint encore plus brouiller
l’image que Jasmine avait jusqu’ici entretenue à propos du Centre-Sud. La
camionnette s’était arrêtée aux abords d’un square fort coquet et fleuri…
Étonnant, considérant que la végétation, outre les arbres maladifs et les
herbes folles, était plutôt rare dans les environs. Des fleurs de toutes les
couleurs montaient à travers un tapis de verdure. Les blocs qui encerclaient le
square partageaient le style des autres qu’ils avaient vues en chemin, mais
elles paraissaient habitables, en fait habitées.
Les fenêtres étaient certes grillagées, mais elles étaient toutes intactes.
Un stress d’une autre nature que ses vieilles peurs vint papillonner
dans le ventre de Jasmine lorsqu’elle reconnut Derek Virkkunen lui-même lisant
paisiblement sur un banc de parc au milieu de l’oasis vert et fleuri. Elle
aurait voulu réviser ses notes, mais c’était trop tard : il se levait déjà
pour aller aux-devants de l’équipe. Les dés étaient jetés : Jasmine se
trouvait à la croisée des chemins, sur le point de vivre l’occasion qui
finirait de lancer sa carrière et confirmer sa réputation montante – ou les
démolir définitivement.
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