dimanche 9 octobre 2011

Le Noeud Gordien, épisode 191 : Portes ouvertes, 2e partie

Pour Jasmine, il s’agissait d’une première visite dans le Centre-Sud. L’idée de se balader en trimballant tout le matériel pour enregistrer une émission de télévision dans un secteur reconnu pour sa criminalité omniprésente n’enchantait personne dans l’équipe. Leur patron avait toutefois eu la prévoyance de leur fournir l’un des gardes de sécurité de la station. Le type avait des allures de policier raté avec sa moustache clairsemée et son ventre rond. Si son apparence seule n’avait pas trop contribué au sentiment général de sécurité de l’équipe, l’arme qu’il portait à la ceinture représentait une différence plus que symbolique.
Comme ils s’y attendaient, les rues ne portaient pas d’identification. Quelques voitures étaient stationnées ici et là, toutes en piteux état, certaines carrément réduites à l’état de carcasses barbouillées. La section jouxtant le Centre faisait encore partie du quartier centenaire de La Cité; on n’y trouvait pas les routes quadrillées à l’équerre du Nord ou de l’Est mais surtout des rues étroites à une seule voie. Le conducteur de la camionnette – le caméraman de l’équipe – naviguait prudemment de manière à ne manquer aucun détour tandis que le type de la sécurité jouait les copilotes tout en surveillant soigneusement les alentours. Jasmine eut une pensée pour les correspondants à l’étranger qui vivaient quotidiennement des situations semblables… ou pire encore.
Mais à mesure qu’ils s’enfonçaient dans le dédale, Jasmine fut surprise de découvrir que la réputation du quartier s’avérait peut-être surfaite après tout. Les environs n’avaient rien de bien séduisant, bien entendu : des nids-de-poules gros comme des citrouilles, des éclats de verre partout, des fenêtres placardées, des fils électriques pendant jusqu’à presque toucher le sol, des détritus allant de la capsule de bouteille jusqu’à une machine à laver échouée là on ne savait comment...
On lui avait si souvent répété à quel point les environs étaient dangereux depuis qu’elle était petite fille qu’elle croyait qu’il suffisait d’y mettre le pied pour qu’on l’assaille, qu’on la vole et qu’on la tue… Mais outre le sérieux manque d’entretien, tout ça n’était que bitume et  baraques, comme ailleurs en ville. Il y avait bien des SDF qui traînaient un peu partout, mais étaient-ils moins nombreux que ceux qu’on trouvait dans le Centre clinquant, à quelques centaines de mètres derrière? Peut-être les voyait-on davantage ici qu’au milieu d’un flot constant de gens d’affaire en cravate et tailleur, mallette de cuir à la main et gadget dernier cri à l’oreille…
Le conducteur poussa un soupir de soulagement avant de dire : « Je pense qu’on est arrivés! »
La scène de leur destination vint encore plus brouiller l’image que Jasmine avait jusqu’ici entretenue à propos du Centre-Sud. La camionnette s’était arrêtée aux abords d’un square fort coquet et fleuri… Étonnant, considérant que la végétation, outre les arbres maladifs et les herbes folles, était plutôt rare dans les environs. Des fleurs de toutes les couleurs montaient à travers un tapis de verdure. Les blocs qui encerclaient le square partageaient le style des autres qu’ils avaient vues en chemin, mais elles paraissaient habitables, en fait habitées. Les fenêtres étaient certes grillagées, mais elles étaient toutes intactes.
Un stress d’une autre nature que ses vieilles peurs vint papillonner dans le ventre de Jasmine lorsqu’elle reconnut Derek Virkkunen lui-même lisant paisiblement sur un banc de parc au milieu de l’oasis vert et fleuri. Elle aurait voulu réviser ses notes, mais c’était trop tard : il se levait déjà pour aller aux-devants de l’équipe. Les dés étaient jetés : Jasmine se trouvait à la croisée des chemins, sur le point de vivre l’occasion qui finirait de lancer sa carrière et confirmer sa réputation montante – ou les démolir définitivement. 

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