dimanche 6 mai 2012

Le Noeud Gordien, épisode 219: Attentes, 2e partie

Le temps que Timothée fasse les quelques pas qui le séparaient du bureau de madame Legrand, elle avait eu le temps de recevoir un autre appel.
« Vous allez devoir me régler ça ASAP », dit-elle d’une voix sévère en signalant à Timothée de s’asseoir. « J’ai quelqu’un, là. Je te rappelle. »
Madame Legrand se leva et lui tendit la main en se présentant formellement; Timothée dut se relever à la même seconde où il s’était assis. Elle le détailla des pieds à la tête avec une expression interloquée. « Tu n’as pas apporté de C.V.? 
— Je ne suis pas ici pour un travail », répondit-il après un moment d’hésitation.
« Hum. Quelqu’un d'absolument déterminé à me rencontrer en personne, qui refuse de prendre rendez-vous… J’avais assumé que tu avais besoin d’un travail. Et que tu cherchais maladroitement à te démarquer des autres.
Timothée rougit. « En fait, je suis le représentant d’un groupe de citoyens de La Cité. Nous voulons mettre sur pied un système de coopératives de logement et d’aide à la subsistance…
— C’est une bonne intention. Tu es affilié à quel organisme? 
— Heu, vous êtes le premier organisme que j’approche. »
Madame Legrand éclata de rire. « Tu as tout à rebours, mon pauvre ami. Cité Solidaire a pour mission d’amasser des ressources et de les redistribuer en fonction des priorités du milieu… » Timothée la regarda en attendant qu’elle continue, mais elle avait bien fini. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la rencontre ne se déroulait pas comme il l’avait espéré. « Les priorités du milieu… Disons qu’avoir un toit au-dessus de nos têtes et de quoi manger, c’est pas mal prioritaire, non? » Ce fut au tour de madame Legrand d’attendre qu’il continue alors qu’il avait fini.
Elle reprit : « Tu sais, la première chose qu’on m’a apprise en économie, c’est que les besoins sont illimités, mais que les ressources sont limitées. On ne peut pas financer tous ceux qui viennent frapper à notre porte… » Elle prit un ton plus incisif : « …surtout ceux qui refusent de prendre rendez-vous. »
Timothée soupira. Malgré ses espoirs, il voyait une nouvelle porte se fermer. « Je vais devoir retourner dans la rue, j’imagine.
— Tu es travailleur de rue?
— Non. Juste… dans la rue. 
— Attends… Lorsque tu disais que tu représentais un groupe de citoyens… De qui parlais-tu?
— Des gens honnêtes qui essaient de vivre dans le Centre-Sud. Comme moi. » Madame Legrand retrouva son expression stupéfaite. Timothée avait l’impression qu’elle tentait de comprendre la singulière combinaison complet et sans-abri.
« Vous êtes combien?
— Entre vingt et trente-cinq, des fois plus, rarement moins. Ça dépend du  moment. On se serre les coudes pour se protéger les uns les autres, trouver de quoi nous nourrir, s’occuper des enfants…
— Il y a des enfants avec vous? Dans le Centre-Sud?
— Ben oui », dit Timothée, surpris par sa surprise.
Elle s’adossa à sa chaise, croisa les bras et s’enfonça dans ses pensées. Timothée se garda bien de l’interrompre maintenant qu’il découvrait que la porte demeurait entrouverte après tout.
Après une minute de silence, elle dit : « Bon. C’est sûr que Cité Solidaire ne peut pas vous donner de l’argent juste comme ça. Mais je vais mettre quelqu’un sur ton cas. On va voir si c’est possible de vous monter un dossier d’ici la fin de l’été. 
— Oh! Merci! Merci! 
— Ne me remercie pas tout de suite, je ne t’ai rien promis. Mais on verra ce qu’on peut faire. »
Timothée flottait presque d’avoir, sinon réussi, au moins fait un pas dans la bonne direction.
« Laisse tes coordonnées à Nicole, on te contacte au courant de la semaine prochaine. 
— Euh…
— Il y a un problème?  
— Je n’ai pas d’adresse ni de numéro de téléphone… »
Timothée subodorait que madame Legrand n’avait qu’une idée très diffuse de ce qu’impliquait la pauvreté que son organisme combattait néanmoins.

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