dimanche 17 juin 2012

Le Noeud Gordien, épisode 225 : Hilltown, 2e partie

Andrew continua son ascension ponctuée d’un shit silencieux à chaque marche gravie. À chaque fois qu’il arrivait à un étage, il s’encourageait en disant à voix haute le chiffre correspondant.
Plus il montait, moins il rencontrait de gens en cours d’évacuation – définitivement une bonne chose. Il entendait les échanges des gars de la sécurité sans y participer. Deux d’entre eux veillaient à l’évacuation du lobby; de ce côté, tout se passait dans le calme. Un troisième demeurait au bureau de la sécurité, vissé devant les moniteurs. Le système de surveillance de l’hôtel était un peu désuet. Il surveillait le lobby et l’entrée du personnel en permanence tandis que trois autres moniteurs présentaient en rotation rapide des images des autres étages. L’explosion ou l’incendie avait dû avoir raison d’un élément du système : on avait signalé ne plus rien voir au-delà du quarantième.
En principe, le quatrième s’efforçait de juguler l’incendie. Son silence était en voie de devenir inquiétant. Shit shit shit shit « Quarante-deux! »
Un grondement puissant se fit entendre, assez fort pour qu’Andrew craigne une seconde explosion. Cependant, le son était à la fois plus diffus et plus généralisé, tout le contraire d’une explosion. Le son évoquait le bruit du tonnerre, ou peut-être d’un glacier dont un immense fragment s’effondre dans la mer en se désagrégeant.
Le grondement s’accentua. Avant qu’Andrew n’ait pu décider s’il continuait d’avancer ou s’il rebroussait chemin, le plancher se fissura à quelques centimètres de ses pieds. Il bondit en arrière alors que tout le coin sud-est de l’hôtel Hilltown se détachait du reste de l’édifice pour dégringoler dans un fracas assourdissant.
Andrew se vautra en position fœtale dans un coin de la cage d’escaler, plus par réflexe animal que par l’effet d’une réflexion consciente. Des hurlements paniqués s’élevèrent de la rue jusqu’au quarante-deuxième.
Il fallut une bonne minute pour que l’homme reprenne le dessus sur l’animal. Le choc avait chassé l’échauffement de son ascension, laissant son corps tout froid et tremblotant. Il ouvrit les yeux pour découvrir l’air ambiant saturé de poussière du béton que le vent agitait sans cesse. Le vent?
La fissure marquait maintenant la frontière entre le quarante-deuxième… et le vide.
Jusqu’alors, Andrew avait eu une confiance absolue dans le béton des immeubles. Maintenant, il lui semblait beaucoup trop fragile. Il devait sortir, et vite.
Il inspira trop profondément avant de se relever; le béton inhalé irrita ses poumons autant que s’il avait respiré sous l’eau. Il toussa jusqu’à en vomir, ses halètements aggravant encore son état à mesure qu’il tentait de reprendre son souffle en respirant plus de débris.
Il se mit à respirer à travers sa manche jusqu’à ce qu’il puisse retrouver une respiration normale.
Lorsque sa toux cessa, il entendit quelqu’un d’autre tousser encore. « Y’a quelqu’un? », lança-t-il d’une voix rauque et faible. Le son s’accentua. On avait sans doute tenté de lui répondre. « Fortin? »
Non : une silhouette se penchait là où le plancher du quarante-quatrième s’ouvrait sur le gouffre. Il ne portait pas d’uniforme. C’était donc un client.
Étrangement, la proximité d’un client de l’hôtel raviva le sang-froid d’Andrew, comme si son professionnalisme pouvait tenir à distance l’appel de la panique ou même ses instincts de survie. « Monsieur, il y a un escalier à l’autre ex… » Andrew dut maîtriser sa gorge en feu avant de pouvoir continuer. « …à l’autre extrémité du couloir. » Il ne se laissa aller à tousser qu’une fois le message passé.
L’homme se contenta de le regarder avec des grands yeux hébétés et larmoyants.
« Monsieur! Il faut s’en aller! » Le poste demandé n’est pas en service. « MONSIEUR! C’EST IMPORTANT! Est-ce qu’il y a quelqu’un avec vous? » Il fit non de la tête. « Il y a un escaler de l’autre côté de l’étage. Est-ce que vous pouvez venir me rejoindre? Il faut évacuer tout de suite!
— Le chemin est bloqué par le feu… »
Shit. Les gicleurs ne s’étaient toujours pas mis en marche?
« …mais ça n’est pas vraiment du feu! Ma femme… »  
Le gars était visiblement en état de choc. Andrew choisit de garder les yeux sur le ballon plutôt que de lui demander d’élaborer sur le feu ou la femme. « Comment tu t’appelles?
— Benoît!
— Benoît, c’est important que tu restes avec moi, ok? »
Il fit oui de la tête. Bon signe. « Peux-tu voir l’extincteur à droite, à côté de la sortie d’urgence? »
L’expression de frayeur revint décuplée. « Non! L’extincteur ne marche pas »
Shit shit.
Un coup d’œil aux environs montrait que la section tombée avait emporté avec elle une portion plus importante du quarante-troisième que du quarante-quatrième. Autrement dit, pour se rendre jusqu’à Andrew sans escalier, le type aurait à descendre deux étages d’un coup.
Quelques secondes interminables passèrent pendant qu’Andrew se débattait pour trouver une solution, n’importe laquelle. Le bruit des sirènes se faisait entendre, provenant de toutes les directions en même temps. Andrew en était presque à reconnaître qu’il ne lui restait qu’à sauver sa peau en espérant que les pompiers fassent mieux que lui lorsqu’une idée se présenta finalement. « Je reviens dans un instant, ok? Tiens-toi prêt, on va te sortir de là. »
Il sortit de la cage d’escalier pour entrer dans la chambre la plus proche à l’aide de à son passe-partout. Malgré l’urgence, il déposa par terre les valises qui se trouvaient sur le lit en les manipulant aussi soigneusement que si les clients s’étaient trouvés dans la chambre.
Il tira sur le matelas de toutes ses forces jusqu’à le faire tomber du sommier. Son intention était de s’en servir pour amortir la chute du type, mais il dut vite se rendre à l’évidence : le matelas était trop massif pour ses forces. À ce rythme, le pauvre homme aurait brûlé dix fois avant qu’il réussisse à le sortir.
 Shit shit shit.
« Plan B! » Il traversa l’étage à la recherche d’une solution… Un chariot d’entretien aurait pu en être une, si seulement Andrew avait pu soulever le matelas pour le poser dessus. Il fallait autre chose. Il décida d’amener dans la cage d’escalier tous les oreillers et les sacs de literie sale sur lesquels il put mettre la main. Benoît se contenta de le regarder ses allées et venues d’un air ahuri.  Au moins, rien ne laissait croire que l’incendie progressait dans sa direction.
« Benoît, écoute-moi bien. Tu vas te suspendre à ton plancher en te tenant par les mains. Après, tu vas te laisser tomber sur les oreillers. Moi, je vais t’attraper, ok? Ensuite on va sortir ensemble. Tu peux faire ça? »
Benoît fit oui de la tête et s’agenouilla au bord du gouffre avant de descendre prudemment un pied, puis l’autre.
J’espère que ça va marcher, pensait Andrew au moment où Benoît pliait les coudes et perdait le contrôle de sa descente.
« SHIT! » 

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