Lorsqu’Édouard arriva devant le
terrain sous lequel Gordon avait caché son laboratoire, il trouva l’accès
cadenassé. Il s’y était à moitié attendu, mais cette fois, il était prêt :
il portait des espadrilles et des vêtements souples. Il s’attaqua au grillage
sans hésiter. La noirceur ne facilitait pas la tâche, mais au prix de quelques
efforts, il se trouva l’autre côté. Une corneille passa au-dessus de sa tête –
Ozzy n’était pas loin, mais ça n’était pas lui.
Comme il l’avait craint, la trappe
marquée d’un G estompé était verrouillée elle aussi. Il frappa à quelques
reprises, mais personne ne vint. Il soupira. Gordon n’avait pas donné suite à
ses appels, mais Édouard avait besoin
de lui parler. Ne sachant trop que faire, il tourna en rond comme un animal en
cage... À vrai dire, il n’était pas trop pressé de reprendre ses acrobaties.
Il décida de risquer sa chance et
d’attendre Gordon, au cas où. Il en profita pour réécouter la réunion de
l’avant-veille, là où il avait appris qu’Avramopoulos s’apprêtait à quitter La
Cité en emportant sa troupe avec lui. L’enregistrement ne fit rien pour le
rasséréner. Si seulement Gordon était là, il pourrait l’éclairer sur la suite…
La nuit fraîche était en voie de
devenir carrément froide; à ce rythme, il n’allait pas pouvoir rester encore
longtemps. Il fit quelques fois le tour du terrain en soufflant dans ses mains.
Lorsqu’il entendit un bruit métallique, il plongea derrière un tas de débris.
« Édouard? Tu es là? »
C’était la voix de Gordon.
Édouard sortit de sa cachette.
« Comment as-tu su que c’était moi?
— Trois faveurs pour un
secret », répondit-il en allant à sa rencontre.
C’est à ce moment précis qu’Ozzy
vint se poser sur l’épaule d’Édouard. « Te voilà, toi! »
Gordon figea.
« C’est Ozzy! Dis bonjour à
Gordon! » L’oiseau répondit par son manège habituel : il se trémoussa
en poussant une série de An! An!
An!
« On dirait qu’il te comprend.
— C’est plus que ça. Une sorte de…
Je ne sais pas, un lien.
— Entrons », dit Gordon,
perplexe. « Nous serons plus à l’aise en bas. »
Édouard descendit; Ozzy s’envola.
« Il est un peu claustrophobe », précisa-t-il. « Il va nous
attendre dehors. »
Ils s’installèrent dans le
laboratoire. « Dans quelles circonstances as-tu… rencontré ton oiseau? »
Édouard lui raconta son temps au
chalet des Sutton et l’intuition qui l’avait conduit dans les bois, directement
vers l’oisillon. Gordon laissa paraître son étonnement face à son histoire,
particulièrement lorsqu’Édouard lui révéla qu’il pouvait, avec un effort
minime, deviner dans quelle direction Ozzy se trouvait.
« Je t’ai expliqué l’origine de
nos traditions lors de notre dernière rencontre », dit Gordon. « Tu
sais que nous sommes les héritiers d’une sagesse millénaire…
— Même si vos formules ne
fonctionnent facilement que depuis le début du vingtième siècle.
— Précisément. Nos traditions
s’ancrent dans la nuit des temps, mais nous ne disposons pas de chronique de
nos prédécesseurs, tout au plus des contes et des légendes à propos des
prouesses des anciens. Il nous est difficile de discerner les faits des fables,
mais il existe bon nombre d’histoires à propos d’initiés qui, très tôt dans
leur formation, se liaient avec un animal…
— Un peu comme les familiers des
sorcières traditionnelles?
— Oui. Quelque chose comme cela.
— J’avais deviné qu’il s’agissait de
quelque chose comme ça. Je tiens beaucoup à Ozzy, alors j’ai dissimulé son
existence à Avramopoulos… Il serait capable de s’en servir contre moi.
— Tu n’as pas tort. Mais pourquoi me
le révéler à moi?
— Parce que je te fais
confiance. » Après un instant, il demanda : « Est-ce que je me
trompe, ou Ozzy t’a surpris?
— Oh, je suis surpris. À ma
connaissance, aucun praticien contemporain n’a développé spontanément un tel
lien.
— Pourquoi moi?
— Je ne saurais dire. Je crois que l’explication
se trouve dans la vitesse de ta progression. C’est du jamais-vu de mémoire de
Maître. » Le visage de Gordon s’illumina. « Bon sang! Tu dis que tu
peux savoir où se trouve ton oiseau?
— Oui.
— Cela nous permettra d’avancer de
beaucoup la réalisation de notre projet… »
Édouard avait eu la même réflexion :
son lien avec Ozzy représentait une manière de démontrer hors de tout doute l’existence
de perceptions extrasensorielles. « À propos… C’est la raison pourquoi il
fallait que je te parle. Il y a un problème pour la suite des choses.
— Que se passe-t-il?
— Avramopoulos veut m’avoir avec lui
lorsqu’il s’en ira.
— Il s’en va? Où?
— Tu ne le savais pas?
— Non!
— Pourtant, il a affirmé en avoir
discuté avec toi… Il a décrété que tout notre petit groupe déménageait à Tanger.
— Il vous a menti. Il ne m’a rien
mentionné de tel.
— Peu importe… S’il part au Maroc, est-ce
qu’il y a un moyen que je reste derrière? Ma famille a besoin de moi… Je ne
peux pas quitter La Cité!
— Laisse-moi réfléchir un
instant… »
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