dimanche 18 août 2013

Le Noeud Gordien, épisode 283 : Ménages, 2e partie

James se masturbait dans la chambre lorsque le cri retentit. « Calice James, on va en manquer de gaz! »
Il sursauta et, sans réfléchir, fourra la revue sous la seule couverture qui recouvrait son matelas posé à même le sol, en proie à un sentiment de culpabilité dont il ne pouvait se départir même s’il reconnaissait qu’il était absurde. De un, il n’y avait pas de mal à se donner un peu de plaisir; de deux, il était impossible que Raymonde le surprenne sans qu’il l’entende venir de loin. Il répondit : « Ça va être correct…
— Parle plus fort! 
Ça va être correct!
—J’ai rien compris. Articule quand tu jappes! »
James exhala bruyamment en remontant ses jeans élimés. Il souleva le drap pour jeter un dernier regard nostalgique à la revue, comme pour lui dire je reviendrai… Il l’avait trouvée dans les poubelles d’un arrêt d’autobus; la couverture titrait fièrement Attention aux coups de soleil – Jasmine en Jamaïque. Le modèle-vedette du mois était une blonde sexy à en faire tourner la tête. Oh oui, il allait y revenir. Souvent.
Il ouvrit la porte de la chambre. « J’ai dit : ça va être correct! 
— C’est à soir que la nouvelle saison des Infidèles commence. Si la génératrice lâche dans l’milieu de l’émission, je vais mourir là! »
James soupira. « J’ai mis du gaz hier. Pourquoi tu ne me crois pas? Je te dis que ça va être correct… »
Raymonde remua sur le Lay-Z-Boy qu’elle ne quittait presque plus. Les efforts requis pour se lever elle-même étaient tels qu’elle les réservait généralement pour ses visites au petit coin. « Je suis pas folle : quand la machine change de bruit, ça veut dire que ses réserves achèvent… »
Une grosse blatte sortit la tête d’en-dessous du Lay-Z-Boy. Elle retourna immédiatement d’où elle était venue. James aurait voulu faire pareil et retourner se terrer dans la chambre avec sa revue Primate... « Je vais aller voir », dit-il en soupirant à nouveau.
Au temps où la bâtisse était plus qu’un squat, la pièce du fond était destinée à recevoir une laveuse et une sécheuse. C’est là que James avait installé son bien le plus précieux, une génératrice vieille d’une quinzaine d’années. Il avait dû déloger les planches qui placardaient les fenêtres de la pièce pour permettre la sortie des gaz d’échappement, mais l’aération demeurait somme toutes mauvaise. Même lorsque le moteur ne tournait pas, la pièce était imprégnée d’une odeur d’essence et d’huile. Après inspection, il dut reconnaître que Raymonde n’avait pas tort : le niveau d’essence était plutôt bas. En fait, plus bas qu’il aurait pu imaginer…
Il n’y avait pas cent causes possibles pour expliquer cette différence. « Hostie, Raymonde, tu as parti la génératrice ce matin! » L’absence d’une réponse équivalait à peu près à un aveu. « Calvaire! La génératrice n’est pas là pour que tu écoutes tes maudites émissions toute la journée, c’est pour qu’on s’éclaire et qu’on se chauffe le soir! Sais-tu combien de fois j’ai failli me faire casser la gueule parce que je siphonnais un char en ville? Penses-tu que ça me tente de me taper tout le travail? »
Lorsque le silence se prolongea, James comprit qu’il était allé trop loin. Il accourut au salon pour trouver Raymonde les yeux pleins d’eau et les mentons frémissant. Deux secondes après qu’il soit arrivé, elle éclata en sanglots. James eut l’intuition que qu’elle avait sciemment attendu qu’il revienne, question qu’il voie bien le mal qu’il avait causé.
« J’aurais pas dû-huhuhu », dit-elle en tentant tant bien que mal de maîtriser son effusion. « C’est long, toute seule le jour… »
James fut tenté, ne serait-ce que cette fois, de tenir son bout. Raymonde dut voir sa résolution, car les pleurs redoublèrent. « Tu serais mieux sans moi! Je suis grosse et moche, je sers juste à compliquer ta vie, je ne peux rien faire de bon, je suis juste un poids… Tu serais mieux sans moi! »
Oh oui, dit une petite voix dans la tête de James. Mais le reste de lui offrit la réponse habituelle : il alla l’étreindre et la rassurer. « Dis pas ça… Je t’aime, tu le sais? Je ne te laisserai pas tomber… » Elle continua à renifler contre sa poitrine. « Je vais aller chercher plus de gaz, ok? Assez pour toute la journée demain. » Elle cessa de pleurer et elle lui jeta un regard plein de reconnaissance. Dans ses yeux, James entrevit celle dont il était tombé amoureux – six ans et trente-cinq kilos plutôt. Il soupira une fois de plus avant d’aller chercher son bidon et son tube de caoutchouc dans la salle de lavage.
« Chéri?
— Quoi?
— Mer-ci! », dit-elle d’un ton chantant. Toute trace de sa tristesse semblait disparue. James ravala sa frustration et sortit. Il eut tout juste le temps d’entendre la musique du générique des Infidèles.

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