À près d’un mois du temps des fêtes,
Félicia ne s’attendait pas à pareille cohue au centre commercial. Le simple
fait de stationner sa voiture lui coûta presque quinze minutes à errer dans des
stationnements souterrains. Après quelques arrêts infructueux ici et là, elle
trouva ce qu’elle était venue chercher – qui l’eut cru? – dans un magasin à
grande surface.
Une file interminable l’attendait à
la sortie. Seulement deux des dix caisses étaient ouvertes, l’une d’elles
opérée par une femme qui croyait avoir tout le temps du monde. C’est elle qui
traita l’achat de Félicia, non sans lui offrir un sourire moqueur. « C’est
pour un cadeau », s’empressa-t-elle de préciser, sans trop comprendre
pourquoi elle ressentait le besoin de se justifier auprès de cette inconnue.
En retournant à sa voiture, elle se
dit qu’elle avait déjà atteint son quota de musique et de décorations de Noël
pour l’année.
Elle arriva chez elle en catastrophe :
un coup d’œil à l’horloge lui indiqua que, si son invité arrivait à l’heure,
elle n’avait plus qu’une quinzaine de minutes devant elle. Elle déposa son
achat sur la table de la cuisine et courut à l’étage. Elle se dénuda
complètement, se sentit ici et là et jugea la situation acceptable. Elle enfila
des sous-vêtements assortis puis une robe moulante bleue et noire. Elle grimaça
en se regardant dans le grand miroir qui couvrait la porte intérieur de son walk-in. C’était… trop. En une seconde,
la robe se retrouva par terre avec ses vêtements du jour. Elle regarda son inventaire,
désespérée… Toutes ces guenilles, et rien à se mettre! Elle enfila à toute
vitesse un ensemble pantalon-veston avec une blouse blanche. Encore
insatisfaite, elle raccrocha le veston sur le cintre. Elle n’y était pas
encore, mais presque. Elle déboutonna le haut de sa blouse et tenta de se
convaincre que ça irait.
Elle redescendit plus vite encore
qu’elle n’était montée. Elle rafraichit son maquillage devant le miroir de la
salle de bain; après un moment d’hésitation, elle rajouta une touche de fard
sur ses pommettes.
Elle sursauta en entendant la
sonnette de l’entrée. Juste à temps! Elle prit deux profondes inspirations et
se rendit au hall d’un pas calme.
« Bonsoir, M. Gauss »,
dit-elle.
« J’ai droit au monsieur, maintenant? »,
répondit-il pendant qu’elle lui faisait la bise. « Je n’ai rien amené, je
ne savais pas trop… C’est nouveau pour moi, ces affaires-là…
— C’est parfait : j’ai déjà
tout ce qu’il faut. Est-ce que je te sers un verre de vin?
— Ah? Euh, oui, pourquoi pas?
— Tu peux aller au salon. Je te
rejoins dans un instant. »
Il le retrouva au fond de la pièce,
détourné vers les grandes fenêtres qui donnaient sur la cour arrière. Était-il
nostalgique de cette propriété qui, il y a peu, était encore la sienne? Il
accepta le verre de rouge qu’elle lui tendit. « J’ai entendu dire que le
déménagement au Maroc est remis?
— Oui », répondit Édouard. «
Polkinghorne me l’a annoncé avant-hier. Je ne te cacherai pas que ça me
soulage.
— A-t-il dit pourquoi? »
Édouard haussa les épaules. « Personne
ne me dit jamais rien. Qui sait ce qui se trame au sommet du totem? » Ils
échangèrent un sourire. « Alors? Est-ce qu’on s’y met? Comment on fait?
— Je viens justement de trouver un
accessoire sur mesure », dit-elle en passant à la cuisine. Elle offrit le
sac à Édouard. Il en sortit une boîte encore scellée.
« Un plateau de Ouija? Neuf? Je ne pensais même pas que ça se
vendait encore! » Félicia ressentit à nouveau l’embarras qu’elle avait eu
au passage à la caisse, bien qu’Édouard, lui, ne l’ait pas jugée… En fait, il
semblait plutôt excité. « J’en avais un quand j’étais petit »,
continua-t-il. « Mes amis et moi, on essayait souvent. Mon frère nous
traitait d’imbéciles. Ça n’a jamais fonctionné. Tu penses que ce jeu va nous
permettre de contacter Hill?
— Ce que je sais, c’est que nous
avons réussi à le faire une fois sans même essayer…
— À propos… Comment être certains qu’il
ne nous possédera pas, comme il l’a fait avec Alice? Si tu te trouvais prise
comme elle, je ne saurais pas quoi faire…
— Ne t’inquiète pas : je pense
avoir trouvé comment nous protéger.
— Tu penses? » Édouard eut un petit rire nerveux.
« Je sais que si nous nous protégeons, tout en lui ouvrant la voie vers
le plateau de Ouija, il pourra communiquer avec nous sans que nous ne soyons en
danger. Es-tu toujours partant?
— Pourquoi moi? Tu ne serais pas
mieux avec quelqu’un de plus… expérimenté?
— J’ai demandé ton assistance parce
que tu étais là au premier contact. Peut-être que ta connexion avec la maison y
est pour quelque chose? Mais si tu préfères que je trouve quelqu’un d’autre…
— En fait, je ne voudrais pas passer
à côté de l’opportunité d’assister à une vraie de vraie séance spirite… »,
dit-il, ses beaux yeux pétillants d’intensité. « Je suis prêt n’importe
quand! »
Et
moi donc, pensa Félicia.
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