Un flash de lumière apparut au
moment précis où les deux détonations retentirent. Un point derrière James
rayonnait assez intensément pour éclairer la rue comme en plein jour. Tobin
tenta d’en discerner la source sans succès : en la fixant, il ne réussit
qu’à s’éblouir davantage.
L’intensité diminua toutefois pour
révéler la forme accroupie d’une jeune femme, les bras autour de la tête en un
geste instinctif de protection. Elle était encore entourée de pans de lumière
chatoyante qui ondulaient comme autant d’aurores boréales miniatures. Lorsqu’elle
baissa les bras, à voir son expression, elle était la première surprise de ce
qui venait de se produire. Tobin la reconnut : c’était une habituée du
Terminus, une jolie asiatique dont il ignorait cependant le nom.
La surprise générale dura une
seconde pendant laquelle les gens du Terminus autant que les gangsters qui les
avaient menacés fixèrent la fille qui peinait à se relever sans trop savoir
comment réagir. Puis, la seconde passa : le gangster qui avait tiré leva à
nouveau son arme, la panique dans le visage. Cette fois, il visa la fille
plutôt que James.
Avant qu’il n’ait tiré, la lumière
dans laquelle la fille baignait déferla sur la rue comme une onde de choc. Les
quatre gangsters furent soufflés plusieurs mètres plus loin, comme si un
ouragan les avait pris à partie. La fille se mit alors à trembler, puis à vomir.
Le spasme fut assez violent pour la faire tomber à genoux; le pauvre James
reçut la majeure partie du premier jet. Chaque spasme qui la secoua par la
suite créa une autre vague de lumière qui poussa les gangsters plus loin, tant
et si bien qu’ils se retrouvèrent vite au-delà de leur voiture. À la première
accalmie, ils se précipitèrent dans leur véhicule et s’enfuirent à toute
vitesse.
La voiture disparut au détour du
bloc avec un crissement de pneus. C’est à ce moment que le halo entourant la
fille s’éteignit. Le retour au faible éclairage des feux après toute cette
incandescence donnait l’impression qu’aucune nuit n’avait jamais été si noire.
La fille tenta de se relever une
fois de plus, mais une nouvelle attaque de nausée la cloua au sol. Cette fois,
elle vomit un torrent d’écume jaunâtre. « Venez m’aider! », ordonna
Timothée. « Nous devons l’amener voir Madame au plus vite. »
Les gens du Terminus soulevèrent la fille
comme un seul homme. La plupart des fidèle suivirent les porteurs jusqu’à l’intérieur.
Tobin réalisa que ses mains tremblaient. Il se trouvait dans un drôle d’état. Ses
oreilles bourdonnaient, son champ de vision était encore plein de points
clignotants là où il avait fixé la fille pendant qu’elle rayonnait. Malgré
cela, il se sentait calme, serein, comme si toute cette scène surréelle n’avait
été qu’un rêve.
Rem et Djo s’approchèrent. « C’était
quoi, c’t’affaire-là? », demanda Rem.
« De la magie », répondit
Tobin, le plus sérieusement du monde. Rem ne sourcilla pas; Djo fit comme s’il
s’attendait à ce qu’un punch line
confirme que son boss blaguait. « La connaissez-vous, cette fille-là?
— Non », répondit Rem, « mais
je me dis que je devrais.
— Elle est bad ass », dit Djo.
« Ouais. Mais surtout : y’a
une méchante paire de totons après ça », dit Rem.
« Restez ici. Surveillez les
accès à la place, au cas où ils reviendraient.
— Ah! », s’exclama Djo.
« Les as-tu vu se sauver? Je ne pense pas qu’ils vont revenir!
— On ne sait jamais. Gardez les yeux
ouverts! »
Tobin entra dans le Terminus à son
tour. Il y régnait une atmosphère… sacrée. Les fidèles discutaient entre eux à
voix basse; il n’était pas trop difficile de deviner de quoi ils parlaient… Vivre
dans le Centre-Sud, impliquait de côtoyer le bizarre et l’inhabituel à tous les
jours. Mais là, c’était à un tout autre niveau… On disait que Madame avait déjà
fait trembler la terre, mais même cette fable n’avait aucune commune mesure
avec le feu d’artifice dont ils avaient tous été témoins…
Martin montait la garde devant la
porte arrière. Il s’écarta pour laisser Mike passer.
Chose rare, Tricane avait quitté son
dais. Elle était penchée au-dessus du corps de la petite asiatique. Ses convulsions
avaient cessé; elle semblait dormir paisiblement à même le sol. Timothée et
Tricane souriaient de toutes leurs dents.
« C’est une naturelle »,
dit Timothée.
« Une naturelle de quoi? Qu’est-ce qu’elle a fait? » À
voir sa réaction, Tim l’ignorait. Il tourna son regard vers Tricane.
« Elle a réussi à faire par
elle-même ce que je veux que Timothée et toi deviennent capables d’accomplir :
manipuler l’énergie radiesthésique du Cercle que nous raffinons à chaque
oraison…
— Ben bravo, je comprends mieux
maintenant », ironisa Tobin. « Au moins c’est une bonne chose?
— Très bonne », répondit
Tricane. « Très, très bonne… Et attend de voir la suite! » Elle
éclata d’un rire caquetant.
« C’est quoi son p’tit nom, à
elle?
— Au début, elle disait qu’elle s’appelait
Megan », dit Tim. « Mais elle nous a dit son vrai nom. C’est, heu,
Azal… Non, Aizna… En fait, je ne suis pas trop certain. Je ne l’avais jamais
entendu ce nom-là avant…
— Mettons Megan », conclut
Tobin.
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