dimanche 29 septembre 2013

Le Noeud Gordien, épisode 289 : Ménages, 8e partie

Mike Tobin était à peine sorti de la chambre de Tricane que Timothée prenait la parole : « Tout le monde! Votre attention, je vous prie! » Les gens du Terminus étaient avides d’en savoir plus; des chut! provenant de l’assistance firent taire les derniers murmures.
« Des gens sillonnent le quartier en disant qu’ils font le ménage », dit Tim. Il pointa James, encore couvert d’immondices. « Ils ont failli attraper James, l’un des nôtres. Il les a vu battre des habitants du quartier, pas loin d’ici. Il a été plus chanceux : il s’est enfui. Il a eu la gentillesse de venir nous avertir. »
Une vague de chuchotements se fit entendre : une bonne proportion d’entre eux squattait dans les environs, la plupart autour du Terminus. Timothée leva la main et attendit que le calme revienne. « J’ai consulté Madame pour savoir quoi faire. Nous allons leur montrer qu’ici, c’est chez nous. Que personne ne peut nous dire quoi faire sur notre territoire. »
Ah, l’enfant de chienne, pensa Tobin. Tricane lui avait dit de faire comme il voulait, voilà qu’il présentait son vœu à lui comme si c’était sa décision à elle. Dans l’assemblée, beaucoup semblaient terrorisés par la proposition de Tim. Ces gens-là n’avaient rien de soldats. Ils étaient d’abord et avant tout des survivants, et pour survivre dans les environs, éviter les problèmes et se tenir loin du trouble demeuraient les stratégies les plus efficaces.
D’un autre côté, ceux qui n’affichaient pas la peur semblaient au contraire galvanisés par l’idée…
La brusque ouverture de la porte d’entrée en fit sursauter plus d’un. C’était Djo. « Il y a un char plus loin dans la rue. Il avance lentement. Je pense qu’il y a du monde qui marche à pied autour.
— Ça doit être eux », dit l’un des fidèles, un homme dans la cinquantaine, proche de Martin. Évidemment, pensa Tobin. Qui d’autre? « Qu’est-ce qu’on va faire? »
Timothée exhala bruyamment. « Tout le monde dehors. Maintenant. »
D’ordinaire, Mike était bien content de laisser Tim le soin de gérer les affaires de la communauté pendant que lui s’occupait des siennes – c’est-à-dire la sécurité du Terminus, en plus de participer aux oraisons d’arrière-scène. Mais là… « Es-tu fou? », cracha-t-il entre ses dents serrées, espérant n’être entendu que par Tim. Celui-ci fit comme si rien n’était. Il ouvrit la porte et signala aux gens de sortir. Martin traversa le seuil le premier; une fois la glace cassée, presque tout le monde le suivit. « Qu’est-ce que tu penses que ça va donner? », chuchota Mike à la première occasion, pendant que les derniers passaient devant eux.
« Fais-moi confiance », dit Tim, comme s’il s’agissait d’un argument.
« C’est quoi ton plan, hein?
— D’abord la glace, ensuite le feu, après la glace…
— Calvaire! Ça ne veut rien dire! T’es rendu aussi pire que Tricane! » Timothée sourit à Tobin avant de s’éloigner à son tour. Il ne restait plus qu’une poignée de fidèles qui préféraient encore la sûreté du Terminus – et peut-être la proximité de leur Madame bien-aimée – aux assurances de Timothée. Jurant intérieurement contre Tim, Tobin sortit à son tour.
Comme la plupart des soirs à cette heure, des feux brûlaient ici et là sur la place, chacun entouré de ces individus qui gravitaient autour de la communauté mais qui ne prenaient pas part aux oraisons pour une raison ou une autre. Il y avait aussi ceux, moins nombreux, qui s’étaient présentés à l’oraison trop tard, après que les chaînes aient été posées sur la porte. La majeure partie des badauds s’étaient massés du côté ouest de la place, là où on pouvait voir la voiture s’approcher. Une automobile si loin dans le Centre-Sud était une rareté; la lumière des phares avait le même effet sur eux qu’une flamme pour un papillon de nuit. Timothée dirigea les fidèles dans cette direction; il leur fit signe de s’avancer jusqu’à ce que la rue entière soit bloquée. Mike rejoignit Timothée au centre en signalant à ses gars de prendre position de part et d’autre de la rue.
La voiture continua sa lente avancée vers le Terminus. Des hommes la flanquaient, comme Djo l’avait soupçonné; les silhouettes de deux d’entre eux se profilaient dans l’éclairage de la voiture. L’un d’eux avait un bâton de baseball posé sur l’épaule. Sans qu’il n’en ait vraiment conscience, Mike posa la main dans sa poche, sur la crosse de son pistolet.
Une troisième silhouette s’ajouta aux deux premières lorsque la voiture arriva à une quinzaine de mètres du barrage humain. La voiture s’immobilisa, puis le conducteur rejoignit ses collègues. L’un des quatre s’avança d’un pas lent qui laissait deviner une paire de couilles en acier trempé.
« Beau petit groupe », dit l’homme qui s’était avancé. Les yeux de Mike s’habituaient graduellement à l’éclairage; il pouvait maintenant distinguer que l’homme avait la tête entièrement rasée. « C’est gentil de votre part d’être venu pour m’écouter », dit-il. Ses mots étaient affables en apparence, mais son ton dégoulinait de mépris. « Ça va être plus facile de passer notre message…
Nous avons un message pour vous », coupa Timothée. « Nous sommes ici chez nous. Nous…
— Mitch Tobin! », coupa le chauve à son tour. Mike tressaillit en entendant son nom. « Qu’est-ce que t’es venu foutre ici! Ton oncle avait compris, lui, que c’était mieux de se concentrer sur ses petites affaires sans venir mettre des bâtons dans les roues des grands… »
Mike ne savait pas trop qui était cet homme, mais ses mots ne piquèrent pas moins son orgueil.
Le chauve allait reprendre sa diatribe lorsque celui qui conduisait la voiture pointa James en disant : « C’est lui! C’est le connard qui s’est sauvé tantôt! »
Le sang de Tobin ne fit qu’un tour lorsqu’il vit le type dégainer. Tobin fit pareil sans hésiter. Les réflexes de survie des fidèles s’enclenchèrent à l’instant même : certains se jetèrent par terre, d’autres s’enfuirent en bousculant ceux qui se trouvaient sur leur chemin.
« Non! », cria Tim. Il claqua le bras de Mike juste au moment où il appuyait sur la gâchette. Deux coups de feu retentirent à une fraction de seconde d’intervalle dans un fracas assourdissant.
Mike s’attendait à voir la situation s’envenimer, qu’elle dégénère en fusillade à quatre contre trois au beau milieu de dizaines d’innocents… Mais quelque chose se produisit qui laissa les deux camps paralysés de surprise.

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