Mike Tobin était à peine sorti de la
chambre de Tricane que Timothée prenait la parole : « Tout le monde!
Votre attention, je vous prie! » Les gens du Terminus étaient avides d’en
savoir plus; des chut! provenant de
l’assistance firent taire les derniers murmures.
« Des gens sillonnent le
quartier en disant qu’ils font le ménage », dit Tim. Il pointa James,
encore couvert d’immondices. « Ils ont failli attraper James, l’un des
nôtres. Il les a vu battre des habitants du quartier, pas loin d’ici. Il a été
plus chanceux : il s’est enfui. Il a eu la gentillesse de venir nous
avertir. »
Une vague de chuchotements se fit
entendre : une bonne proportion d’entre eux squattait dans les environs,
la plupart autour du Terminus. Timothée leva la main et attendit que le calme
revienne. « J’ai consulté Madame pour savoir quoi faire. Nous allons leur
montrer qu’ici, c’est chez nous. Que personne ne peut nous dire quoi faire sur notre territoire. »
Ah,
l’enfant de chienne, pensa Tobin. Tricane lui avait dit de faire comme il
voulait, voilà qu’il présentait son vœu à lui comme si c’était sa décision à
elle. Dans l’assemblée, beaucoup semblaient terrorisés par la proposition de
Tim. Ces gens-là n’avaient rien de soldats. Ils étaient d’abord et avant tout
des survivants, et pour survivre dans les environs, éviter les problèmes et se
tenir loin du trouble demeuraient les stratégies les plus efficaces.
D’un autre côté, ceux qui
n’affichaient pas la peur semblaient au contraire galvanisés par l’idée…
La brusque ouverture de la porte
d’entrée en fit sursauter plus d’un. C’était Djo. « Il y a un char plus loin
dans la rue. Il avance lentement. Je pense qu’il y a du monde qui marche à pied
autour.
— Ça doit être eux », dit l’un
des fidèles, un homme dans la cinquantaine, proche de Martin. Évidemment, pensa Tobin. Qui d’autre? « Qu’est-ce qu’on va
faire? »
Timothée exhala bruyamment.
« Tout le monde dehors. Maintenant. »
D’ordinaire, Mike était bien content
de laisser Tim le soin de gérer les affaires de la communauté pendant que lui
s’occupait des siennes – c’est-à-dire la sécurité du Terminus, en plus de participer
aux oraisons d’arrière-scène. Mais là… « Es-tu fou? », cracha-t-il
entre ses dents serrées, espérant n’être entendu que par Tim. Celui-ci fit
comme si rien n’était. Il ouvrit la porte et signala aux gens de sortir. Martin
traversa le seuil le premier; une fois la glace cassée, presque tout le monde
le suivit. « Qu’est-ce que tu penses que ça va donner? », chuchota
Mike à la première occasion, pendant que les derniers passaient devant eux.
« Fais-moi confiance »,
dit Tim, comme s’il s’agissait d’un argument.
« C’est quoi ton plan, hein?
— D’abord la glace, ensuite le feu,
après la glace…
— Calvaire! Ça ne veut rien dire!
T’es rendu aussi pire que Tricane! » Timothée sourit à Tobin avant de
s’éloigner à son tour. Il ne restait plus qu’une poignée de fidèles qui
préféraient encore la sûreté du Terminus – et peut-être la proximité de leur
Madame bien-aimée – aux assurances de Timothée. Jurant intérieurement contre
Tim, Tobin sortit à son tour.
Comme la plupart des soirs à cette
heure, des feux brûlaient ici et là sur la place, chacun entouré de ces
individus qui gravitaient autour de la communauté mais qui ne prenaient pas
part aux oraisons pour une raison ou une autre. Il y avait aussi ceux, moins
nombreux, qui s’étaient présentés à l’oraison trop tard, après que les chaînes
aient été posées sur la porte. La majeure partie des badauds s’étaient massés du
côté ouest de la place, là où on pouvait voir la voiture s’approcher. Une
automobile si loin dans le Centre-Sud était une rareté; la lumière des phares
avait le même effet sur eux qu’une flamme pour un papillon de nuit. Timothée
dirigea les fidèles dans cette direction; il leur fit signe de s’avancer
jusqu’à ce que la rue entière soit bloquée. Mike rejoignit Timothée au centre
en signalant à ses gars de prendre position de part et d’autre de la rue.
La voiture continua sa lente avancée
vers le Terminus. Des hommes la flanquaient, comme Djo l’avait soupçonné; les
silhouettes de deux d’entre eux se profilaient dans l’éclairage de la voiture.
L’un d’eux avait un bâton de baseball posé sur l’épaule. Sans qu’il n’en ait
vraiment conscience, Mike posa la main dans sa poche, sur la crosse de son
pistolet.
Une troisième silhouette s’ajouta
aux deux premières lorsque la voiture arriva à une quinzaine de mètres du
barrage humain. La voiture s’immobilisa, puis le conducteur rejoignit ses
collègues. L’un des quatre s’avança d’un pas lent qui laissait deviner une
paire de couilles en acier trempé.
« Beau petit groupe », dit
l’homme qui s’était avancé. Les yeux de Mike s’habituaient graduellement à
l’éclairage; il pouvait maintenant distinguer que l’homme avait la tête
entièrement rasée. « C’est gentil de votre part d’être venu pour
m’écouter », dit-il. Ses mots étaient affables en apparence, mais son ton
dégoulinait de mépris. « Ça va être plus facile de passer notre message…
— Nous avons un message pour vous »,
coupa Timothée. « Nous sommes ici chez nous. Nous…
— Mitch Tobin! », coupa le
chauve à son tour. Mike tressaillit en entendant son nom. « Qu’est-ce que
t’es venu foutre ici! Ton oncle avait compris, lui, que c’était mieux de se
concentrer sur ses petites affaires sans venir mettre des bâtons dans les roues
des grands… »
Mike ne savait pas trop qui était
cet homme, mais ses mots ne piquèrent pas moins son orgueil.
Le chauve allait reprendre sa
diatribe lorsque celui qui conduisait la voiture pointa James en disant : « C’est
lui! C’est le connard qui s’est sauvé tantôt! »
Le sang de Tobin ne fit qu’un tour
lorsqu’il vit le type dégainer. Tobin fit pareil sans hésiter. Les réflexes de
survie des fidèles s’enclenchèrent à l’instant même : certains se jetèrent
par terre, d’autres s’enfuirent en bousculant ceux qui se trouvaient sur leur
chemin.
« Non! », cria Tim. Il
claqua le bras de Mike juste au moment où il appuyait sur la gâchette. Deux
coups de feu retentirent à une fraction de seconde d’intervalle dans un fracas
assourdissant.
Mike s’attendait à voir la situation
s’envenimer, qu’elle dégénère en fusillade à quatre contre trois au beau milieu
de dizaines d’innocents… Mais quelque
chose se produisit qui laissa les deux camps paralysés de surprise.
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