dimanche 8 septembre 2013

Le Noeud Gordien, épisode 286 : Ménages, 5e partie

James se retrouva plié en deux, pantelant. Le gangster lui agrippa la barbe et le tira jusqu’à terre; encore sonné, il n’eut d’autre choix que suivre le mouvement. James se retrouva agenouillé devant son agresseur. Tout cela était si soudain, si gratuit, qu’il ne savait trop quoi faire ou comment réagir autrement. Une chose demeurait toutefois claire dans son esprit : il devait se préparer au prochain coup qui ne manquerait pas de venir. Il ferma les yeux et tendit tous ses muscles dans l’espoir de mieux encaisser le coup.
Une pensée s’imposa en flash : Raymonde. Depuis qu’ils s’étaient installés dans le squat, elle n’en était plus ressortie – c’était mieux ainsi, avec tous les efforts qu’ils avaient dû déployer pour lui permettre de se hisser jusqu’au deuxième. Que deviendrait-elle si les gangsters décidaient de débarquer pour l’évincer à son tour? Et s’il mourrait, ici? Sans lui, elle ne survivrait pas longtemps. Elle en était incapable.
Le coup anticipé ne vint pas. James entendit plutôt un brouhaha un peu plus loin sur la rue. Il se risqua à ouvrir un œil pour découvrir que, de l’autre côté de la voiture, les junkies tentaient une sorte de contre-attaque pathétique. L’un d’eux brandissait un fragment de l’une des planches qui avait obstrué la fenêtre de leur logis; un autre avait trouvé une seringue qu’il pointait vers ses ennemis afin de les tenir à distance. L’autre dont le visage avait démoli était maintenant immobile, sans doute évanoui, peut-être mort.
L’homme qui s’en était pris à James dut juger les junkies plus menaçant que lui : il s’était tourné complètement en direction de l’échauffourée. C’était une occasion à saisir, une chance qui ne se représenterait peut-être pas. Sans attendre ni réfléchir, James prit ses jambes à son cou, content de ne pas avoir lâché son bidon vide.
Derrière lui, il entendit : « Hey! Hey, motherfuckerStop! »
James accéléra autant qu’il le put. Il n’avait rien d’un athlète, mais l’adrénaline lui donna des ailes. Au détour d’un carrefour, deux blocs plus loin, il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. « Hostie de calvaire! » Il avait espéré que son agresseur juge qu’il ne valait pas la peine d’être suivi. À tout le moins, sa course effrénée lui avait fait gagner une meilleure avance que ce qu’il aurait osé espérer. Il fallait maintenant la maintenir… Il se remit à courir, déjà moins énergique que durant sa lancée initiale.
Il bifurqua dans la première allée qu’il trouva en priant qu’elle ne soit pas un cul-de-sac… Pour une fois, la chance lui sourit. Elle déboucha sur une série de ruelles parallèles, autant de possibilités pour confondre et semer l’homme qui le poursuivait. James n’hésita pas plus qu’une seconde avant de s’engager dans la première ruelle à gauche, mais plutôt que continuer sa course, il sauta dans l’une des quatre bennes à ordures alignées contre le mur. Il rabattit le couvercle, trop gondolé pour bien fermer, en espérant que rien ne paraisse de sa cachette vue de l’extérieur. Il retint son souffle à moitié pour dissimuler son halètement, mais aussi pour garder hors de lui l’odeur épouvantable de l’air ambiant. Entre deux bouffées tirées malgré lui, il entendit quelqu’un s’approcher au pas de course, puis ralentir. Son poursuiveur hésitait à choisir dans quelle direction aller. Le faisceau d’une lampe de poche vint balayer les environs; James s’enfonça un peu plus dans les immondices.
Quelque chose remua dans sa benne; dans la noirceur, il était impossible de savoir quoi, exactement. Il lui fallut toute sa volonté pour ne pas crier ou se débattre. Il réussit à demeurer silencieux, mais il fut étonné de sentir son jeans se mouiller de son urine. Compte tenu des circonstances, sa pisse lui parut un moindre mal. D’un geste lent, il vint poser son bidon entre la source du frémissement et lui. La créature – quelle qu’elle fût – ne se fit plus entendre.
Le gangster dut décider qu’il avait bel et bien perdu sa trace, à moins qu’il n’ait réalisé que James ne méritait pas plus que la sueur déjà versée. Il s’alluma une cigarette et rebroussa chemin. Son éclairage pâlit puis disparut.
James, quant à lui, se força pour compter jusqu’à cinquante avant de soulever le couvercle et sortir de cette saloperie de poubelle. Couvert des pires déjections, d’ordures liquéfiées, de sa propre pisse et probablement de crottes de je-ne-sais-quoi, il pouvait tout de même se compter chanceux d’en être sorti à si bon compte…
Ça en dit long sur ma vie de merde, conclut-il. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire