James se retrouva plié en deux,
pantelant. Le gangster lui agrippa la barbe et le tira jusqu’à terre; encore
sonné, il n’eut d’autre choix que suivre le mouvement. James se retrouva
agenouillé devant son agresseur. Tout cela était si soudain, si gratuit, qu’il
ne savait trop quoi faire ou comment réagir autrement. Une chose demeurait
toutefois claire dans son esprit : il devait se préparer au prochain coup
qui ne manquerait pas de venir. Il ferma les yeux et tendit tous ses muscles
dans l’espoir de mieux encaisser le coup.
Une pensée s’imposa en flash :
Raymonde. Depuis qu’ils s’étaient installés dans le squat, elle n’en était plus
ressortie – c’était mieux ainsi, avec tous les efforts qu’ils avaient dû
déployer pour lui permettre de se hisser jusqu’au deuxième. Que deviendrait-elle
si les gangsters décidaient de débarquer pour l’évincer à son tour? Et s’il
mourrait, ici? Sans lui, elle ne survivrait pas longtemps. Elle en était
incapable.
Le coup anticipé ne vint pas. James
entendit plutôt un brouhaha un peu plus loin sur la rue. Il se risqua à ouvrir
un œil pour découvrir que, de l’autre côté de la voiture, les junkies tentaient
une sorte de contre-attaque pathétique. L’un d’eux brandissait un fragment de l’une
des planches qui avait obstrué la fenêtre de leur logis; un autre avait trouvé
une seringue qu’il pointait vers ses ennemis afin de les tenir à distance. L’autre
dont le visage avait démoli était maintenant immobile, sans doute évanoui,
peut-être mort.
L’homme qui s’en était pris à James
dut juger les junkies plus menaçant que lui : il s’était tourné complètement
en direction de l’échauffourée. C’était une occasion à saisir, une chance qui
ne se représenterait peut-être pas. Sans attendre ni réfléchir, James prit ses
jambes à son cou, content de ne pas avoir lâché son bidon vide.
Derrière lui, il entendit : « Hey!
Hey, motherfucker! Stop! »
James accéléra autant qu’il le put. Il
n’avait rien d’un athlète, mais l’adrénaline lui donna des ailes. Au détour d’un
carrefour, deux blocs plus loin, il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. « Hostie
de calvaire! » Il avait espéré que son agresseur juge qu’il ne valait pas
la peine d’être suivi. À tout le moins, sa course effrénée lui avait fait
gagner une meilleure avance que ce qu’il aurait osé espérer. Il fallait
maintenant la maintenir… Il se remit à courir, déjà moins énergique que durant
sa lancée initiale.
Il bifurqua dans la première allée
qu’il trouva en priant qu’elle ne soit pas un cul-de-sac… Pour une fois, la
chance lui sourit. Elle déboucha sur une série de ruelles parallèles, autant de
possibilités pour confondre et semer l’homme qui le poursuivait. James n’hésita
pas plus qu’une seconde avant de s’engager dans la première ruelle à gauche, mais
plutôt que continuer sa course, il sauta dans l’une des quatre bennes à ordures
alignées contre le mur. Il rabattit le couvercle, trop gondolé pour bien fermer,
en espérant que rien ne paraisse de sa cachette vue de l’extérieur. Il retint
son souffle à moitié pour dissimuler son halètement, mais aussi pour garder
hors de lui l’odeur épouvantable de l’air ambiant. Entre deux bouffées tirées
malgré lui, il entendit quelqu’un s’approcher au pas de course, puis ralentir. Son
poursuiveur hésitait à choisir dans quelle direction aller. Le faisceau d’une
lampe de poche vint balayer les environs; James s’enfonça un peu plus dans les
immondices.
Quelque chose remua dans sa benne;
dans la noirceur, il était impossible de savoir quoi, exactement. Il lui fallut
toute sa volonté pour ne pas crier ou se débattre. Il réussit à demeurer
silencieux, mais il fut étonné de sentir son jeans se mouiller de son urine.
Compte tenu des circonstances, sa pisse lui parut un moindre mal. D’un geste
lent, il vint poser son bidon entre la source du frémissement et lui. La
créature – quelle qu’elle fût – ne se fit plus entendre.
Le gangster dut décider qu’il avait
bel et bien perdu sa trace, à moins qu’il n’ait réalisé que James ne méritait
pas plus que la sueur déjà versée. Il s’alluma une cigarette et rebroussa
chemin. Son éclairage pâlit puis disparut.
James, quant à lui, se força pour
compter jusqu’à cinquante avant de soulever le couvercle et sortir de cette
saloperie de poubelle. Couvert des pires déjections, d’ordures liquéfiées, de
sa propre pisse et probablement de crottes de je-ne-sais-quoi, il pouvait tout
de même se compter chanceux d’en être sorti à si bon compte…
Ça
en dit long sur ma vie de merde, conclut-il.
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