Aizalyasni émergea de l’inconscience
pour être accueillie par un intense malaise. Son bas-ventre était noué par une
nausée atroce qui, elle le sentait, menaçait de s’aggraver au premier faux
mouvement. Elle demeura rigoureusement immobile, le sang battant aux tempes,
sur une corde raide faite de ses propres tripes, jusqu’à ce qu’elle
s’évanouisse à nouveau.
Des sons diffus la réveillèrent
après une durée indéterminable. Elle ouvrit les yeux pour en chercher
l’origine. Leur surface était recouverte d’une pellicule muqueuse, mais elle
reconnut tout de même des indices clairs qu’elle se trouvait au Terminus. Des
pinceaux de lumière filtraient à travers la peinture opaque des baies vitrées.
Elle sursauta lorsqu’elle entendit
quelqu’un lancer : « Elle a bougé! » La voix provenait d’un
point non loin de là, mais elle paraissait grondante, déformée, comme si
Aizalyasni avait la tête dans l’eau. Elle tenta de se redresser, mais elle fut
aussitôt submergée par un tourbillon de vertiges qui la forcèrent à retomber en
position couchée. Deux paires de mains la rattrapèrent juste avant qu’elle ne
percute les cartons bruns sur lesquels on l’avait couchée. Elle roula sur le
côté et dégueula trois jets liquides, de la même couleur qu’un jaune d’œuf. Elle
retomba dans sa position initiale, les yeux fermés, un peu moins nauséeuse,
comme si elle avait vomi une part de son malaise. « Fuck », dit la
même voix qui l’avait fait sursauter.
Aizalyasni voulut parler, lui
répondre, s’excuser et poser une question simultanément, mais elle ne réussit
qu’à gémir. « Repose-toi, ça va bien aller », dit une voix douce,
familière, réconfortante. Timothée.
Peu après, on la souleva comme on
l’avait déposée; quelqu’un pressa quelque chose contre ses lèvres. Elle ouvrit
la bouche sans réfléchir. C’était une sorte de tisane infecte, au goût amer,
herbeux et très corsé. Elle l’avala sans plaisir, mais sans résister non plus.
Chaque gorgée chassa une couche du brouillard qui confondait son esprit. Une
fois la tasse finie, elle eut l’impression d’être vraiment réveillée pour la
première fois. Elle ouvrit enfin les yeux, cette fois sans aggraver son état.
Elle fut surprise de découvrir
qu’une quinzaine d’habitués du Terminus l’entouraient, tous silencieux.
Timothée était à sa gauche, la tasse vide dans une main; Vinh et Gary se
tenaient au premier rang. Même le chef était
là. Tout le monde la regardait d’un air… Particulier. Les yeux des uns étaient
émerveillés, les autres tendus, sur leur garde. Mais pourquoi…?
En se posant la question, elle
trouva la réponse. On lui avait tiré
dessus. L’évocation du souvenir eut une réaction immédiate : sa
respiration et son pouls s’accélérèrent, elle se couvrit de sueur froide, son
corps entier se crispa… Mais plus troublant encore, elle se souvint des lumières
qui l’avaient entourée, des vagues inexplicables de mouvement qui avaient apparemment radié d’elle… L’évocation de ces
phénomènes inexpliqués menaça de la faire glisser encore plus loin dans la
panique post-traumatique.
C’est à ce moment que les fidèles
s’écartèrent pour révéler la présence de Madame qui avançait vers elle, appuyée
sur l’épaule de Martin. Comme toujours, sa seule présence fit beaucoup pour calmer
Aizalyasni. « Laissez-nous », dit-elle. Tous sauf Martin et Timothée passèrent
du côté de la salle commune. « Aizalyasni », dit Madame. « Je
suis si fière de toi! Comprends-tu ce que tu as fait, avant-hier? »
Elle voulut dire « Non,
Madame », mais sa gorge ne produisit qu’un son rauque. Elle fit plutôt non
de la tête.
Madame tira quelque chose de sa
poche et le montra à Aizalyasni. C’était un petit cône cuivré à la pointe
arrondie. « Cette balle a été tirée, mais elle n’a jamais percuté quoi que
ce soit. »
Aizalyasni ne savait pas quoi faire
de cette information; elle ne dit rien. Madame continua. « Je crois que
c’est toi qui l’a arrêtée en plein vol. C’est le destin qui a voulu que tu
prennes une balle, afin qu’un jour tu arrêtes celle-là et que tu révèles ta
nature véritable… »
Sa nature? De quoi parlait-elle?
Aizalyasni n’aurait pas osé manquer de respect à Madame en lui posant une
question directe, mais elle fronça néanmoins les sourcils. Madame lui fit un sourire
chaleureux malgré toutes ses dents manquantes. « Toi et moi, nous sommes
pareilles à bien des égards. Nous avons été utilisées et abandonnées, détruites
puis reconstruites; ce qui devait nous détruire nous a rendu plus
fortes. » Madame fit une pause, toujours souriante, avant d’ajouter :
« Toi et moi, nous allons changer le monde! »
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