Gianfranco Espinosa sortit de sa
rencontre hebdomadaire avec Mélanie Tremblay avec l’impression que les choses
allaient pour le mieux. Elle s’était montrée hésitante quant à sa position de
leadership durant les premiers mois, mais c’était avant qu’ils aient trouvé
ensemble la direction à donner à l’ex-organisation Lytvyn. Ils s’étaient
attelés à la tâche de la couper une fois pour toutes de sa rue native. Si
Mélanie était peu encline à faire fortune grâce au sexe ou à la drogue, elle
était sans pareille pour le blanchiment d’argent ou le trafic d’influence. Le
jour où il pourrait lui passer une fois pour toutes les rênes de son
organisation approchait de plus en plus. Il lui tardait de quitter cette ville
où un simple moment d’inattention pouvait créer un contrecoup capable de
démolir un hôtel centenaire… Maintenant que Gordon lui avait offert son anneau,
plus rien ne le retenait ici. Il pourrait continuer ses études avec un nouveau
Maître, et ainsi se rapprocher de la réalisation du Grand Œuvre. Il ne lui
restait que quelques dossiers à boucler et…
« Hey, as-tu du change, man? », demanda une voix derrière
lui alors qu’il approchait de sa voiture, garée sur la cinquième rue. Le ton et
l’accent étaient familiers… Il se retourna pour trouver Eleftherios
Avramopoulos, adossé contre un mur de béton.
« Tu n’es pas supposé être au
Maroc? », demanda Espinosa.
« Les plans ont changé »,
dit l’homme d’un ton qui n’invitait pas la réplique. « Tu as une minute? »
Espinosa ne répondit pas, se
contentant de lui tourner le dos en fouillant ses poches à la recherche de son
trousseau de clé.
« Bon, bon. Tu ne veux pas me
parler. D’accord. Contente-toi de m’écouter. J’ai une faveur à te demander. »
Espinosa fit jouer la clé dans la serrure. Avramopoulos ajouta : « S’il te plaît. »
Espinosa interrompit son mouvement.
Il n’avait pas le souvenir d’avoir déjà entendu Avramopoulos s’adresser à lui ainsi.
« Je t’écoute », dit-il en se retournant. Il croisa les bras,
dubitatif.
« J’ai une mission pour toi. Tu
es l’homme le mieux placé pour l’accomplir. Enfin, à part Hoshmand, mais tu
sais ce que je veux dire… »
Espinosa laissa le silence s’alourdir.
« Tu sais où je veux en venir », conclut Avramopoulos après un
moment.
« Je veux te l’entendre dire.
— Quelqu’un doit s’occuper de
Tricane. Maintenant.
— Et pourquoi est-ce soudainement
une urgence? Depuis le début de l’été qu’elle…
— C’est ton statut qui a changé. Pas
elle.
— Quoi?
— Maintenant que tu n’es plus avec
Gordon, il ne peut pas t’empêcher de prendre ce contrat…
— Gordon a déclaré Tricane anathème,
comme tous les autres.
— Je connais Gordon mieux que toi. Acquiescer
devant les autres, c’est une chose. Il n’aurait jamais laissé quelqu’un tenter
quelque chose de définitif contre son ancienne protégée.
— Bref, tu as peur de t’occuper de
Tricane. Tu voudrais que je fasse comme Hoshmand et que je prenne les coups à
ta place...
— Veux-tu me faire cette faveur, oui
ou non?
— Non. Il y a des choses qu’une
simple faveur ne peut pas acheter. Tes problèmes ne sont pas mes problèmes »,
répondit-il en lui tournant le dos à nouveau. Il ouvrit la portière, décidé à
le laisser se dépêtrer seul.
Il entendit Avramopoulos grogner
derrière lui. « Attends. J’ai quelque chose que tu veux… »
Espinosa figea sur place. L’allusion
était claire. Il se retourna, incrédule.
« Tu m’as bien compris. La tête
de Tricane contre ton… engin. La farce a assez duré. »
Espinosa n’en crut pas ses oreilles.
Il avait cessé de croire que ce jour viendrait. Mais l’offre valait-elle la
peine de risquer son acuité, ou même sa vie?
« J’accepte. À une condition.
— Laquelle?
— Je veux être payé d’avance. »
Avramopoulos hésita un instant
pendant lequel le cœur d’Espinosa menaça d’exploser. « Entendu », dit
finalement Avramopoulos en tendant la main à Espinosa. Celui-ci hésita à son
tour, après quoi il la lui serra à contrecœur.
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