dimanche 1 décembre 2013

Le Noeud Gordien, épisode 298 : Naturelle, 2e partie

« Hey! Tu t’en vas où, comme ça? »
Aizalyasni sursauta. Après plusieurs jours dans l’atmosphère sereine – quoique austère – du Terminus, bercée matin et soir par les oraisons, affronter le monde extérieur l’effrayait un peu. Dans ce cas-ci, elle n’avait aucune raison de l’être : c’était monsieur mignon qui l’avait interpellée à la sortie.
« Je l’ai dit à Madame. Je dois aller en ville », lança-t-elle à toute vitesse, le cœur battant. « Je ne serai pas partie longtemps. »
Monsieur mignon haussa les épaules, comme pour souligner qu’il n’avait rien demandé. « Je viens avec toi.
— D’accord », répondit-elle en replaçant une mèche derrière son oreille. « Mais… tu ne dois pas surveiller le Terminus?
— Mon partenaire va s’occuper du Terminus. Moi, je vais m’occuper de toi. »
Aizalyasni se sentit rougir comme une écolière. Après avoir couché avec des tas de mecs sans trop sourciller, c’était étrange qu’elle soit tant affectée par celui-là…
« On n’a jamais été présentés… Moi, c’est Rem », dit-il. « Toi, je pense que c’est Aisaya…
— Mes amis m’appellent Nini », coupa-t-elle avant qu’il ne massacre son nom encore plus.
« Je m’excuse, j’ai jamais entendu ce nom-là avant…
— Je suis habituée.
— C’est quoi déjà?
— Ai-zal-ya-sni. C’est Malaisien.
— Aizalyasni. Je vais m’en souvenir! »
Pendant qu’ils traversaient la place du Terminus, Aizalyasni remarqua que l’attitude des gens envers elle avait changé. Ils l’observaient maintenant avec révérence, avec amour même… Ces gens-là avaient pour elle le sentiment que Madame lui inspirait. Ils voyaient quelque chose en elle… Quelque chose qu’elle ne parvenait pas encore à saisir… ou à croire complètement.
Rem et elle cheminèrent vers son squat, marchant côte-à-côte, Aizalyasni savourant le moment tout en ce demandant ce qui se passait dans la tête du charmant jeune homme. C’était peut-être son isolement des derniers jours qui brouillait sa perception, mais elle eut l’impression que chaque coin de rue était plus froid que le précédent. Lorsqu’ils arrivèrent chez elle, elle était toute grelottante. « Je t’attends ici », dit Rem. « Habille-toi chaudement. Tu n’as rien vu encore… »
Elle vivait dans un édifice mieux aménagé que la plupart, aux serrures fonctionnelles et aux fenêtres grillagées. Elle monta à sa chambre sur la pointe des pieds. Elle n’avait pas envie de croiser l’un ou l’autre de ses colocataires. Elle avait une relation cordiale mais distante avec chacun; elle n’avait aucune envie de répondre à leurs questions à propos des deux dernières semaines.
Elle fut contente de trouver sa porte de chambre encore cadenassée. Une fois à l’intérieur, elle prit quand même la peine de vérifier dans son garde-robe que sa collection de chaussures – son péché mignon – était toujours intacte. Elle décida que la double liasse qu’elle avait reçue exigeait qu’elle s’en achète une nouvelle paire aujourd’hui. Elle fourra ensuite tous ses vêtements chauds dans un sac marin dans l’idée de l’attraper à son retour. Elle enfila finalement l’anorak que Szasz lui avait acheté l’an dernier durant sa convalescence. C’était le vêtement d’hiver le plus isolant qu’elle n’ait jamais porté. Lorsque Rem et elle se remirent en marche, elle ne grelottait déjà plus.
Juste avant d’arriver au boulevard St-Martin, elle réalisa qu’elle n’avait pas rêvé le refroidissement progressif : plusieurs centimètres de neige recouvraient la plupart des surfaces. L’hiver semblait bien installé dans La Cité… même si Aizalyasni était à peu près certaine qu’autour du Terminus, le mercure n’avait jamais même flirté avec le zéro.
Rem parut amusé par sa surprise. « Je sais que nous ne sommes pas supposé parler de ça…
— Quoi, ça?
— Ben… ça », répondit Rem en désignant tout le décor. « Votre genre de magie… » Sous-entendait-il que Madame était responsable du microclimat? À bien y penser, c’était sans doute l’explication la plus plausible. « C’est quand même impressionnant! », ajouta-t-il. « Bon! Te voilà de retour à la civilisation. Moi, il va falloir que je retourne au Terminus. Tu vas être correcte pour le reste du chemin?
— Oui, oui.
— T’es cool, Aizalyasni », dit Rem en prenant soin d’articuler chaque syllabe. « Faudrait qu’on fasse quelque chose, un de ces quatre. As-tu un téléphone? »
Le commentaire se voulait léger, mais la bouffée de chaleur qu’il suscita chez Aizalyasni lui fit presque penser que l’anorak n’était pas une si bonne idée après tout. Elle acquiesça en bafouillant, puis ils se séparèrent après avoir échangé leurs numéros, laissant Aizalyasni aux prises avec cent mille spéculations, à déconstruire leurs échanges et à rêvasser sur la suite... Elle était tant plongée dans ses pensées qu’elle ne remarqua pas la camionnette qui avait tourné le coin à toute vitesse avant qu’elle ne s’arrête à sa hauteur. En cinq seconde, sa porte latérale s’était ouverte et quatre mains puissantes l’avaient tirée, puis était repartie sur les chapeaux de roues.

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