dimanche 8 décembre 2013

Le Noeud Gordien, épisode 299 : Contrat, 2e partie

Espinosa n’aurait pas été surpris d’entendre Avramopoulos retirer son offre à la dernière minute, question de tourner le fer dans la plaie comme il en avait le secret. Il fut on ne peut plus surpris lorsque le vieux maître se mit au travail avec diligence et sans le moindre chichi.
L’opération fut plus courte qu’il l’avait imaginée. Il avait jonglé avec des dizaines de possibilités au fil des ans pour recréer la partie qui lui manquait, mais ces pistes impliquaient des procédés si longs et complexes qu’ils n’étaient pas réalisables par un homme seul… et impliquer quelqu’un d’autre, c’était l’exposer au courroux d’Avramopoulos, qui avait juré que quiconque rendrait son pénis à Espinosa le regretterait longtemps. Le Maître disposait toutefois d’un atout irremplaçable : il avait préservé l’organe dans un bocal, submergé dans une substance qui avait maintenu son intégrité malgré sa séparation du corps qui l’avait vu naître.
Espinosa douta jusqu’au dernier moment, mais lorsqu’il se releva de la table du laboratoire d’Avramopoulos, il était bel et bien redevenu entier. « C’est maintenant à toi de remplir ta part du marché.
— Bien sûr », dit Espinosa, un peu déçu des sensations qu’il avait entre ses jambes : il se sentait moins… différent que ce qu’il avait prévu.
« Quand vas-tu passer à l’action?
— Très bientôt.
— J’espère », ajouta Avramopoulos. « Je m’attends à des résultats rapides. »
Espinosa n’avait pas remarqué à quel point Avramopoulos semblait nerveux… Quelque chose habitait son regard lorsqu’il le sommait de respecter son contrat… Il avait peur. Voilà pourquoi il avait cessé ses manigances. Cet échange de faveurs était pour lui une façon de retrouver un sentiment de sécurité. Pendant un instant, il fut tenté de s’enfuir et le laisser se débrouiller seul. Il acquiesça plutôt à sa dernière remarque avant de s’en aller.
La tentation de faire quelque chose avec son membre retrouvé était grande… Mais il ne se faisait pas d’illusion : la personne avec qui il aurait voulu perdre sa virginité ne voudrait plus jamais de lui. Et l’idée de la remplacer par une professionnelle avait quelque chose d’ignoble. Il décida donc de remettre à un autre jour son accession à la sexualité pour se concentrer sur la part du contrat qu’il devait livrer. S’il devait y rester, il allait mourir puceau… Mais à tout prendre, il prévoyait survivre et jouir un autre jour.
Ses préparatifs furent courts : il se vêtit de noir, assembla son matériel – ses armes, mais aussi de quoi camper au froid pendant quelques jours de planque – et partit pour le Centre-Sud au beau milieu de la nuit.
Selon Hoshmand, Tricane avait fait du Terminus de la vieille-gare son quartier-général. Si c’était vrai, il s’agissait d’une bonne nouvelle : la grande place était un rêve d’assassin. Le bâtiment se trouvait au centre d’une aire ouverte, presque sans obstructions ni cachettes potentielles. De plus, il était encerclé de bâtiments à trois étages, parmi les plus anciens de La Cité, chacun offrant une vue sur une large portion de la place en-dessous.
Ces appartements vétustes grouillaient de squatters. Le premier défi d’Espinosa fut donc d’accéder aux toits sans être vu : il était plus sage de présumer que quiconque habitait là pouvait avertir Tricane. La chance lui sourit : un escalier de secours rétractable avait été laissé en position basse. Il put donc accéder aux toits sans même devoir pénétrer dans un immeuble.
Une fois en haut, il monta son camp dans un recoin à l’abri des regards. Il s’était équipé pour survivre au froid hivernal, mais les environs étaient loin d’être aussi froids qu’il l’avait anticipé. Il déboutonna sa veste et attendit le lever du soleil, son fusil chargé à portée de la main.
Deux jours plus tard, Tricane ne s’était toujours pas montrée.
À tout le moins, Espinosa était à peu près certain qu’elle se trouvait bien là… Mike Tobin patrouillait les environs avec deux de ses hommes, surveillant les allées et venues des gens qui passaient par le Terminus… Qu’un gangster de la banlieue nord – le neveu du dernier initié de Tricane – flâne avec les paumés du Centre-Sud ne pouvait pas être une simple coïncidence.
Au troisième jour, il décida qu’il en avait vu assez. À défaut d’avoir aperçu sa cible, ses jours de surveillance lui avaient appris beaucoup sur la routine entourant le Terminus. S’il ne pouvait pas cueillir Tricane à distance, il allait devoir procéder autrement… Au risque de finir comme Hoshmand – ou, pire encore, Kuhn – Espinosa allait devoir affronter la sorcière anathème sur son propre terrain.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire