Espinosa n’aurait pas été surpris d’entendre
Avramopoulos retirer son offre à la dernière minute, question de tourner le fer
dans la plaie comme il en avait le secret. Il fut on ne peut plus surpris
lorsque le vieux maître se mit au travail avec diligence et sans le moindre
chichi.
L’opération fut plus courte qu’il l’avait
imaginée. Il avait jonglé avec des dizaines de possibilités au fil des ans pour
recréer la partie qui lui manquait, mais ces pistes impliquaient des procédés
si longs et complexes qu’ils n’étaient pas réalisables par un homme seul… et
impliquer quelqu’un d’autre, c’était l’exposer au courroux d’Avramopoulos, qui
avait juré que quiconque rendrait son pénis à Espinosa le regretterait
longtemps. Le Maître disposait toutefois d’un atout irremplaçable : il
avait préservé l’organe dans un bocal, submergé dans une substance qui avait maintenu
son intégrité malgré sa séparation du corps qui l’avait vu naître.
Espinosa douta jusqu’au dernier
moment, mais lorsqu’il se releva de la table du laboratoire d’Avramopoulos, il
était bel et bien redevenu entier. « C’est maintenant à toi de remplir ta
part du marché.
— Bien sûr », dit Espinosa, un
peu déçu des sensations qu’il avait entre ses jambes : il se sentait moins…
différent que ce qu’il avait prévu.
« Quand vas-tu passer à l’action?
— Très bientôt.
— J’espère », ajouta
Avramopoulos. « Je m’attends à des résultats rapides. »
Espinosa n’avait pas remarqué à quel
point Avramopoulos semblait nerveux… Quelque chose habitait son regard lorsqu’il
le sommait de respecter son contrat… Il
avait peur. Voilà pourquoi il avait cessé ses manigances. Cet échange de
faveurs était pour lui une façon de retrouver un sentiment de sécurité. Pendant
un instant, il fut tenté de s’enfuir et le laisser se débrouiller seul. Il acquiesça
plutôt à sa dernière remarque avant de s’en aller.
La tentation de faire quelque chose
avec son membre retrouvé était grande… Mais il ne se faisait pas d’illusion :
la personne avec qui il aurait voulu perdre sa virginité ne voudrait plus
jamais de lui. Et l’idée de la remplacer par une professionnelle avait quelque
chose d’ignoble. Il décida donc de remettre à un autre jour son accession à la
sexualité pour se concentrer sur la part du contrat qu’il devait livrer. S’il
devait y rester, il allait mourir puceau… Mais à tout prendre, il prévoyait
survivre et jouir un autre jour.
Ses préparatifs furent courts :
il se vêtit de noir, assembla son matériel – ses armes, mais aussi de quoi
camper au froid pendant quelques jours de planque – et partit pour le
Centre-Sud au beau milieu de la nuit.
Selon Hoshmand, Tricane avait fait
du Terminus de la vieille-gare son quartier-général. Si c’était vrai, il s’agissait
d’une bonne nouvelle : la grande place était un rêve d’assassin. Le
bâtiment se trouvait au centre d’une aire ouverte, presque sans obstructions ni
cachettes potentielles. De plus, il était encerclé de bâtiments à trois étages,
parmi les plus anciens de La Cité, chacun offrant une vue sur une large portion
de la place en-dessous.
Ces appartements vétustes
grouillaient de squatters. Le premier défi d’Espinosa fut donc d’accéder
aux toits sans être vu : il était plus sage de présumer que quiconque
habitait là pouvait avertir Tricane. La chance lui sourit : un escalier de
secours rétractable avait été laissé en position basse. Il put donc accéder aux
toits sans même devoir pénétrer dans un immeuble.
Une fois en haut, il monta son camp
dans un recoin à l’abri des regards. Il s’était équipé pour survivre au froid
hivernal, mais les environs étaient loin d’être aussi froids qu’il l’avait
anticipé. Il déboutonna sa veste et attendit le lever du soleil, son fusil
chargé à portée de la main.
Deux jours plus tard, Tricane ne s’était
toujours pas montrée.
À tout le moins, Espinosa était à
peu près certain qu’elle se trouvait bien là… Mike Tobin patrouillait les
environs avec deux de ses hommes, surveillant les allées et venues des gens qui
passaient par le Terminus… Qu’un gangster de la banlieue nord – le neveu du
dernier initié de Tricane – flâne avec les paumés du Centre-Sud ne pouvait pas
être une simple coïncidence.
Au troisième jour, il décida qu’il
en avait vu assez. À défaut d’avoir aperçu sa cible, ses jours de surveillance
lui avaient appris beaucoup sur la routine entourant le Terminus. S’il ne
pouvait pas cueillir Tricane à distance, il allait devoir procéder autrement… Au
risque de finir comme Hoshmand – ou, pire encore, Kuhn – Espinosa allait devoir
affronter la sorcière anathème sur son propre terrain.
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