dimanche 9 février 2014

Le Noeud Gordien, épisode 306 : Toute la vérité, 1re partie

Les nouvelles du jour avaient plongé Geneviève dans de tristes réflexions… Une explosion inexpliquée avait eu lieu dans un quartier heureusement inhabité, mais à quelques kilomètres seulement de son collège… Après la catastrophe du Hilltown qui avait secoué la ville l’été dernier, elle en était à se demander s’il ne valait pas mieux aller s’établir ailleurs, dans une ville moins dangereuse, ou mieux encore, à la campagne…
Geneviève tressaillit en entendant la sonnette d’entrée. Le téléjournal en était aux nouvelles du sport; l’horloge en bas de l’écran indiquait 23h36. Elle éteignit la télé et ajusta sa robe de chambre. Qui pouvait sonner à cette heure?
Un coup d’œil dans le judas la rassura : ce visiteur lui était bien connu. Elle lui ouvrit en espérant que le parfum de son dernier joint ait eu le temps de se dissiper. « Édouard? Qu’est-ce qui t’amène ici? 
— Est-ce que je te dérange? Je peux repasser…
— Non, non. Je relaxais un peu avant de me coucher. J’ai eu une grosse journée. Entre… Tu veux quelque chose à boire? »
Il pointa la tisane qui refroidissait sur la table du salon. « Tu pourrais m’en faire une?
— Bien sûr. Ça ne sera pas long : il reste de l’eau chaude dans la bouilloire... Déshabille-toi… »
Édouard enleva son manteau et empila les manuels éparpillés sur le sofa pour se faire une place. « C’est vrai… Avec l’école, le travail et les filles, tu dois être épuisée…
— Je m’en sors », répondit-elle, souriante,  en lui tendant son infusion de camomille. « Et toi, ça va? » Il avait l’air nerveux, comme s’il avait des fourmis dans les jambes. « Me semble qu’on ne se voit plus que dans des cadres de porte…
« Est-ce qu’Alice…
— Elle continue à aller bien », dit Geneviève en s’asseyant à côté de son ex. Docteure Victoria dit qu’un retour à la normale aussi soudain est un indice que ses problèmes n’étaient pas causés par un traumatisme grave, contrairement à ce qu’elle avait cru au début. C’est tout un soulagement, hein? Si tu savais comment ça m’a inquiétée… On ne saura jamais ce qui…
— Moi, je le sais », coupa Édouard en soupirant. « C’est pour ça que je suis venu te voir. Je pense que tu as le droit de savoir. Surtout avec ce qui s’en vient… »
Geneviève croisa les bras, sourcils froncés. Édouard semblait se débattre avec lui-même. C’était inhabituel de le voir chercher ses mots. Après un long délai, il cracha : « Bon, y’a pas de façon facile de le dire sans avoir l’air con, alors je vais droit au but : j’ai infiltré un groupe de sorciers, des magiciens-pour-vrai, et je prévois révéler leur existence, et l’existence réelle de la magie, au monde entier. C’est ça, le gros dossier que sur lequel je travaille depuis un moment. »
Geneviève resta bouche bée, ne sachant trop si elle devait croire Édouard ou présumer qu’il était tombé sur la tête. Puis elle additionna un et un. « Qu’est-ce que tu as fait à ma fille?
— Hein? Quoi? Non! Je n’ai rien fait. C’est la nature de son problème qui était…
— Magique? »
Édouard haussa les épaules, les paumes tournées vers le haut, comme pour lui rappeler qu’il l’avait prévenue : ses explications allaient sonner comme des conneries.
Édouard n’était pas du genre à fabuler… De deux choses l’une : soit Édouard disait la vérité la plus absurde qu’elle n’ait jamais entendue… Soit le scénario qu’elle avait craint depuis toujours était en train de prendre forme.
Philippe Gauss, le frère aîné d’Édouard, avait très mal vieilli. Édouard lui reprochait encore les excentricités de sa jeunesse dont il avait souvent fait les frais, mais l’âge l’avait rendu paranoïaque au point d’être délirant. Le point culminant qui avait souligné jusqu’où sa dérape l’avait conduit avait été la révélation qu’il était de mèche avec les trafiquants d’Orgasmik. Avec un divorce, un déménagement et une démission coup sur coup, le stress avait-il pu avoir raison de la raison d’Édouard?
« Je sais comment tout cela peut paraître étrange… Moi-même, j’ai douté, je pensais qu’il y avait un truc, que la magie n’existe pas… Jusqu’à ce que je commence à en faire moi-même. »
Geneviève haussa le sourcil. Un point pour la maladie mentale, se dit-elle en dépit d’elle-même.
« Attends, tu vas voir… » Il alla ouvrir la porte. Un vent froid soufflait dehors. Il siffla quelques notes; Geneviève allait lui dire de rentrer lorsqu’une forme noire passa le seuil. L’injonction se transforma en petit cri.
La corneille alla se poser sur la tête d’Édouard. « Geneviève, je te présente Ozzy. C’est mon familier. Nous avons un lien télépathique…
—  An an an! », croassa l’oiseau.
Bien qu’elle ne démontre rien par elle-même, l’apparition soudaine offrait un ancrage tangible à l’histoire d’Édouard. « Donc, tu as commencé à faire de la magie.
— Pas juste moi. Alexandre. Et Claude, aussi. »
Deux points pour l’absurde vérité. À condition qu’il dise vrai. « Je t’écoute », concéda-t-elle.
« Ça risque d’être long… Même si c’était juste l’an passé, j’ai l’impression d’avoir vécu six ans depuis que j’ai commencé mon enquête…
— Pas grave. Je ne m’endors plus. Dis-moi tout…
— Tout a commencé lorsqu’Alexandre m’a fourni une piste à propos de l’origine de l’Orgasmik… »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire