Les nouvelles du jour avaient plongé
Geneviève dans de tristes réflexions… Une explosion inexpliquée avait eu lieu
dans un quartier heureusement inhabité, mais à quelques kilomètres seulement de
son collège… Après la catastrophe du Hilltown qui avait secoué la ville l’été
dernier, elle en était à se demander s’il ne valait pas mieux aller s’établir
ailleurs, dans une ville moins dangereuse, ou mieux encore, à la campagne…
Geneviève tressaillit en entendant
la sonnette d’entrée. Le téléjournal en était aux nouvelles du sport; l’horloge
en bas de l’écran indiquait 23h36. Elle éteignit la télé et ajusta sa robe de
chambre. Qui pouvait sonner à cette heure?
Un coup d’œil dans le judas la
rassura : ce visiteur lui était bien connu. Elle lui ouvrit en espérant
que le parfum de son dernier joint ait eu le temps de se dissiper.
« Édouard? Qu’est-ce qui t’amène ici?
— Est-ce que je te dérange? Je peux
repasser…
— Non, non. Je relaxais un peu avant
de me coucher. J’ai eu une grosse journée. Entre… Tu veux quelque chose à
boire? »
Il pointa la tisane qui
refroidissait sur la table du salon. « Tu pourrais m’en faire une?
— Bien sûr. Ça ne sera pas
long : il reste de l’eau chaude dans la bouilloire...
Déshabille-toi… »
Édouard enleva son manteau et empila
les manuels éparpillés sur le sofa pour se faire une place. « C’est vrai…
Avec l’école, le travail et les filles, tu dois être épuisée…
— Je m’en sors », répondit-elle,
souriante, en lui tendant son infusion
de camomille. « Et toi, ça va? » Il avait l’air nerveux, comme s’il
avait des fourmis dans les jambes. « Me semble qu’on ne se voit plus que
dans des cadres de porte…
« Est-ce qu’Alice…
— Elle continue à aller bien »,
dit Geneviève en s’asseyant à côté de son ex. Docteure Victoria dit qu’un retour
à la normale aussi soudain est un indice que ses problèmes n’étaient pas causés
par un traumatisme grave, contrairement à ce qu’elle avait cru au début. C’est
tout un soulagement, hein? Si tu savais comment ça m’a inquiétée… On ne saura
jamais ce qui…
— Moi, je le sais », coupa
Édouard en soupirant. « C’est pour ça que je suis venu te voir. Je pense
que tu as le droit de savoir. Surtout avec ce qui s’en vient… »
Geneviève croisa les bras, sourcils
froncés. Édouard semblait se débattre avec lui-même. C’était inhabituel de le
voir chercher ses mots. Après un long délai, il cracha : « Bon, y’a
pas de façon facile de le dire sans avoir l’air con, alors je vais droit au
but : j’ai infiltré un groupe de sorciers, des magiciens-pour-vrai, et je
prévois révéler leur existence, et l’existence réelle de la magie, au monde
entier. C’est ça, le gros dossier que sur lequel je travaille depuis un
moment. »
Geneviève resta bouche bée, ne
sachant trop si elle devait croire Édouard ou présumer qu’il était tombé sur la
tête. Puis elle additionna un et un. « Qu’est-ce que tu as fait à ma
fille?
— Hein? Quoi? Non! Je n’ai rien fait. C’est la nature de son problème qui était…
— Magique? »
Édouard haussa les épaules, les
paumes tournées vers le haut, comme pour lui rappeler qu’il l’avait
prévenue : ses explications allaient sonner comme des conneries.
Édouard n’était pas du genre à
fabuler… De deux choses l’une : soit Édouard disait la vérité la plus
absurde qu’elle n’ait jamais entendue… Soit le scénario qu’elle avait craint
depuis toujours était en train de prendre forme.
Philippe Gauss, le frère aîné
d’Édouard, avait très mal vieilli. Édouard lui reprochait encore les
excentricités de sa jeunesse dont il avait souvent fait les frais, mais l’âge
l’avait rendu paranoïaque au point d’être délirant. Le point culminant qui
avait souligné jusqu’où sa dérape l’avait conduit avait été la révélation qu’il
était de mèche avec les trafiquants d’Orgasmik. Avec un divorce, un
déménagement et une démission coup sur coup, le stress avait-il pu avoir raison
de la raison d’Édouard?
« Je sais comment tout cela
peut paraître étrange… Moi-même, j’ai douté, je pensais qu’il y avait un truc,
que la magie n’existe pas… Jusqu’à ce que je commence à en faire
moi-même. »
Geneviève haussa le sourcil. Un point pour la maladie mentale, se
dit-elle en dépit d’elle-même.
« Attends, tu vas voir… »
Il alla ouvrir la porte. Un vent froid soufflait dehors. Il siffla quelques
notes; Geneviève allait lui dire de rentrer lorsqu’une forme noire passa le
seuil. L’injonction se transforma en petit cri.
La corneille alla se poser sur la
tête d’Édouard. « Geneviève, je te présente Ozzy. C’est mon
familier. Nous avons un lien télépathique…
—
An an an! », croassa l’oiseau.
Bien qu’elle ne démontre rien par
elle-même, l’apparition soudaine offrait un ancrage tangible à l’histoire
d’Édouard. « Donc, tu as commencé à faire de la magie.
— Pas juste moi. Alexandre. Et
Claude, aussi. »
Deux
points pour l’absurde vérité. À
condition qu’il dise vrai. « Je t’écoute », concéda-t-elle.
« Ça risque d’être long… Même
si c’était juste l’an passé, j’ai l’impression d’avoir vécu six ans depuis que
j’ai commencé mon enquête…
— Pas grave. Je ne m’endors
plus. Dis-moi tout…
— Tout a commencé lorsqu’Alexandre
m’a fourni une piste à propos de l’origine de l’Orgasmik… »
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