La transformation du diagramme en
procédé réalisable s’avéra plus complexe qu’Édouard ne l’avait imaginé. Celui-ci
devait inclure tous les éléments qui avaient été révélés à son esprit, incluant
ceux qu’il avait jugés indescriptibles.
« Ils n’ont pas tous à se
trouver là tels quels », précisa Gordon pendant qu’il poussait les tables
de son laboratoire contre les murs. « Certains peuvent être remplacés par
des substituts ou des symboles capables d’avoir le même effet. C’est là qu’une
solide connaissance des principes alchimiques devient utile… » Il lui
tendit une grosse craie blanche. « Commence par dessiner les deux cercles
sur le plancher. Ensuite, nous définirons les autres éléments avant de les
inscrire à leur tour. »
Il leur fallut une trentaine d’heures
pour compléter le dispositif. Gordon fut d’une patience angélique pendant toute
la durée. Édouard, de son côté, ne ressentit aucune fatigue malgré les heures
qui s’accumulaient : sa compulsion n’avait jamais été si bien satisfaite.
« Prends place au centre du
cercle », dit Gordon après une dernière vérification que tout s’y trouvait
bien. « Visualise le procédé tel qu’il est apparu dans ta tête, sous forme
d’idée pure. Ensuite, superpose-le dans ton esprit au dispositif que nous avons
assemblé.
— Je ne suis pas certain de
comprendre ce que superpose-le veut
dire…
— Essaie, tu vas voir. »
Édouard se mit en état d’acuité et
fit suivit les instructions de Gordon. Il ne lui fallut qu’un instant pour qu’il
ressente l’impression que le diagramme dans sa tête et celui sous ses pieds s’emboîtaient
pour ne faire qu’un, aussi naturellement que les deux moitiés d’une ceinture de
sécurité. Il retint son souffle.
Il s’était attendu à ce que l’effet
magique se manifeste de façon concrète –
des couleurs chatoyantes, ou peut-être un son de carillon, comme dans les films
– mais le seul indice que quelque chose
s’était produit fut un frisson intense qui balaya tout son corps comme une
vague, apportant avec elle un sentiment de détente profond. Il attendit un
instant, puis un autre…
La voix de la compulsion s’était
enfin tue. Il avait réussi.
Édouard s’écroula sur le sol du
laboratoire, les yeux mouillés par des larmes de soulagement. Il avait presque
oublié la sensation d’être libre de sa volonté – même sous l’effet de la poudre
brune, une part de tensions demeurait toujours… Mais là… Là! Quel bonheur de n’avoir
aucun autre impératif que d’être là, immobile, relax…
Il sursauta en sentant une main
toucher son épaule. « Édouard? Tu t’es endormi.
— Je… ne m’en étais pas rendu
compte.
— Tu es épuisé. Va te reposer. Nous
discuterons de la suite une autre fois. »
Gordon avait raison. Édouard lui serra la main et le remercia chaudement
avant de retourner à sa voiture. Il conduisit jusqu’à son appartement en
cognant des clous, en se giflant pour garder les yeux ouverts. Les mois passés
à travailler jour et nuit l’avaient vidé au-delà de ce qu’il avait cru
possible. Maintenant que la compulsion qui le poussait en avant s’était dissipée,
il n’y avait plus rien pour le garder debout.
Il s’effondra sur son lit moins de
quinze secondes après son arrivée.
Quatorze heures passèrent en un clin
d’œil. À son réveil, l’impression qu’il devait reprendre le temps perdu lui
traversa l’esprit; il ricana du fait de pouvoir maintenant dire non.
Il se tourna dans son lit, tira les
couvertures par-dessus sa tête et s’offrit un autre trois heures.
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