dimanche 31 août 2014

Le Nœud Gordien, épisode 335 : De l’intérieur

Martin sursauta en entendant des coups insistants frappés à la porte. Il n’était guère le seul à être surpris par le bruit soudain : dans l’assistance, un bon nombre des fidèles avaient interrompu les mouvements de l’oraison pour s’interroger les uns les autres du regard.
« Ne bougez pas! », dit Martin en se dirigeant vers l’entrée. Quelques fidèles désobéirent à son injonction et avancèrent à sa suite. Il n’insista pas.  
Il crut discerner que l’une des voix à l’extérieur de la porte était bien celle de Rem. Ironiquement, les coups frappés couvraient les cris d’alarme; il n’en discernait pas un mot. Martin entreprit de défaire les chaînes qui barraient les portes. Ses mains tremblaient : dans le Centre-Sud, les surprises étaient rarement bonnes.
Une rafale de coups de feu retentit.
Martin eut le réflexe de se lancer à plat ventre. Les oreilles bourdonnantes, il observa l’assemblée se disperser comme une volée d’oiseaux. Certains se couchèrent comme lui, d’autres s’enfuirent dans toutes les directions; quelques-uns demeurèrent figés sur place, l’expression affolée.
Malgré sa réaction preste, Martin lui-même aurait voulu penser, se ressaisir, diriger les fidèles, mais rien n’y fit. La seule pensée à peu près cohérente qu’il formula se limitait à un mot : Madame.
Il resta accroupi, en marchant presque à quatre pattes, pour traverser la salle principale en direction de la pièce arrière. Il n’était guère le seul : les coups de feu avaient dissipé les réserves de bien des fidèles. En temps normal, ils traitaient le reste du Terminus comme une sacristie réservée à Madame et à son cercle rapproché.
D’autres coups de feu se firent entendre au moment où Martin arriva devant Madame. Elle était assise sur son dais, les yeux fermés. Aizalyasni était prostrée devant elle, les jambes repliées contre sa poitrine, son front posé sur ses genoux. Elle sanglotait doucement. La petite avait montré beaucoup de courage lorsque les mafiosi avaient menacé la communauté des fidèles, et encore plus lorsqu’elle s’était sortie, seule, d’une tentative de kidnapping. Martin avait l’impression qu’aujourd’hui, il ne fallait rien attendre de sa part.
Avant qu’il ait pu ouvrir la bouche, Martin aperçut Timothée apparaître de l’autre côté de la pièce, accompagné de plusieurs des fidèles qui avaient fui dans cette direction. « Y’a le feu dans la salle du trou!
— Ben voyons! », répondit Martin. « La salle est vide! Y’a rien à brûler! »
Martin accourut jusqu’à la pièce du fond. Timothée n’avait pas menti. une fumée noire et épaisse se dégageait de l’incendie, mais elle était toute aspirée par le tirant d’air du trou dans le sol. Le vortex avait l’apparence d’une tornade miniature.
« Ce n’est pas un accident, c’est certain », dit Timothée derrière lui. « Y’a quelqu’un qui veut nous faire sortir… Quelqu’un qui nous attend avec une mitraillette. Une chance qu’on a le trou! Mais si l’incendie se propage…
— On est cuits comme des rats. Peut-on ouvrir les autres portes?
— C’est Tobin qui a les clés des autres cadenas…
— Évidemment, il fallait que ça arrive la fois où il manque l’oraison… »
Ils retournèrent auprès de Madame. Aizalyasni continuait à pleurer en tremblant comme une feuille durant un orage. Madame n’avait pas bougé, son visage rajeuni encore calme et serein, comme si rien du grabuge ambiant ne s’était rendu à ses oreilles.
« Madame! », dit Timothée à son oreille. « Madame! C’est important! Y’a le feu! »
Elle ne réagit pas.
Vu les circonstances extrêmes, Martin décida de recourir à une stratégie qui l’était tout autant.
Il gifla Madame. 

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