dimanche 6 mars 2016

Le Nœud Gordien, épisode 410 : Mesquin, 1re partie

Toc toc toc.
Asjen Van Haecht leva enfin le nez de son téléphone pour découvrir l’origine du bruit. C’était Félicia qui rongeait son frein devant la façade du quartier général, fatiguée par son vol intercontinental, affolée par l’arrestation dont elle avait été témoin.
Il ouvrit la porte à Félicia. Elle réprima sa folle envie d’engueuler le jeune homme. « C’est encore toi qui surveille, hein?
— Ouais, toujours moi », dit-il sans détecter l’ironie. Il tint la porte pendant que Félicia manœuvrait ses bagages par l’entrebâillement. « Tant qu’à perdre mes journées… J’ai commencé à jouer à un excellent jeu. C’est… »
Elle s’en foutait parfaitement. « Vous n’êtes pas au courant pour Gordon?
Asjen haussa les épaules. « Je ne suis jamais au courant de rien, moi. » Elle le laissa derrière avec ses valises et jogga jusqu’à l’ascenseur. Asjen, de son côté, se contenta de baisser la tête et à retourner à ses petits jeux. Ce garçon était vraiment inutile.
Le troisième étage était quasiment vide. Durant son absence, quelqu’un avait eu l’idée, simple mais géniale, de carreler tout un coin de la salle avec une série de tableaux verts. Latour examinait avec un air pensif un enchevêtrement de formes géométriques dessinées à la craie. Ce n’est que lorsqu’elle s’approcha qu’il réagit à sa présence.
« Bonjour ma petite dame! Comment avez-vous… » Puis, remarquant l’expression de Félicia, la sienne changea du tout au tout. « Qu’y a-t-il donc?
— C’est Gordon. On l’a arrêté à notre arrivée à La Cité.
—Arrêté? Mais pourquoi donc?
— Production et trafic de drogues.
— C’est absurde! Ce ne peut être qu’une erreur!
— Absolument. Ou une machination.
— Mais qui…
— Où sont les autres?
— Van Haecht et Mandeville sont à leur hôtel. Olson est en mission chez nos nouveaux amis… Avramopoulos est je ne sais où.
— Il faut appeler tout le monde…
— Je m’en occupe. »
Après la mollesse d’Asjen, la résolution de Latour était bienvenue. Le Maître disparut dans l’ascenseur, laissant Félicia seule à faire les cent pas et à se rogner furieusement les ongles. Elle avait envoyé des textos à Édouard dans le taxi. Elle avait beau vérifier à toutes les cinq secondes, il ne lui répondait pas.
Elle se sentait tellement impuissante… Les paroles de Gordon lui revenaient en tête. Tu vas devoir développer ton influence. Cette instruction datait de quelques mois à peine, et elle avait été très occupée depuis, mais elle s’en voulait de ne pas l’avoir prise au pied de la lettre, de ne pas avoir cherché dès lors à attacher des ficelles qu’elle aurait pu tirer maintenant… Les quelques leviers dont elle disposait déjà lui apparaissaient inutiles dans les circonstances. Elle ne pouvait rien faire… Rien faire d’autre qu’attendre et espérer que les autres soient mieux outillés.
Elle se força à s’arrêter, à respirer un peu. À réfléchir.
Les accusations contre Gordon étaient bien évidemment fabriquées de toutes pièces. Production et trafic de drogues… Pourquoi pas terrorisme, tant qu’à y être? Une erreur? Félicia n’y croyait pas. Quelqu’un était derrière l’arrestation de Gordon. Mais qui? Qui s’opposait à Gordon sur à peu près tout? Qui pourrait vouloir lui enlever sa voix au concile? Qui pouvait être mesquin à ce point?
Poser la question, c’était y répondre.
« Avramopoulos. »

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