Karl poussa un soupir
sec et intense, comme la vapeur qui s’échappe d’une bouilloire. Non seulement
ces gamins avaient foutu la merde, mais ils avaient besoin de lui pour la
ramasser. Ils voulaient un chef? Ils allaient l’avoir.
« Vinh, Djo,
pression sur la plaie. Vous ne la lâchez pas une seconde. Mike, faut que tu amènes
Tim au terminus, presto.
— Au Terminus? C’est à
l’hôpital qu’il a besoin d’aller…
— Aizalyasni va
pouvoir faire mieux pour le guérir que n’importe quel médecin. Qu’est-ce que
vous attendez, vous trois? Go! Les autres, venez nous rejoindre. Toi, Sophie,
fouille-le. » Il pointa Abel. « Trouve ses clés. Grouille! »
Tobin jogga jusqu’au
garage. Il actionnait l’ouverture de la grille juste au moment où Sophie,
encore à bout de souffle, lui amena le trousseau d’Abel. « Quand les
autres vont être rentrés », dit-il, « tu leur dis de traîner les
corps jusque dans le garage. En attendant, trouve du gaz, de l’huile, quelque
chose, et crisse-en partout sur les murs. »
Il n’attendit pas son
éventuelle réponse. Chaque seconde comptait : il se rendit aussi vite
qu’il le put à la trappe. D’une main tremblante, il essaya les clés jusqu’à
trouver la bonne.
Il ne s’était pas
trompé : Martin se trouvait dans l’espace en-dessous, attaché et bâillonné,
le visage tuméfié, les vêtements raidis par des couches de sang séché. Il
luttait pour garder la tête relevée et les yeux ouverts. Il ne réagit pas
lorsque Tobin trancha ses attaches, ni lorsqu’il le traîna jusqu’à l’escalier.
Ce n’est qu’à ce moment qu’il retrouva une part de ses esprits, assez pour
continuer sans être poussé. Martin gémit à chaque nouvelle marche, mais il
porta son propre poids; une fois dehors, il fut toutefois incapable de
reprendre pied. Il menaçait de tomber chaque fois que Tobin desserrait
son étreinte.
Les jeunes rayonnèrent
de joie à la vue de Martin, mais leur joie ne dura qu’un instant, le temps
qu’ils réalisent l’état pitoyable dans lequel il se trouvait. Tobin les laissa porter
l’éclopé jusqu’à la voiture de Djo – toujours là où Tobin l’avait garée; il
tourna les talons et retourna vers le bâtiment.
« Qu’est-ce que
tu fous? », cria Sophie derrière lui.
« M’en va foutre
le feu là-dedans. » Puis, entre ses dents : « C’est tout le
temps les mêmes qui sont pognés avec le ménage… »
Martin sombra dans
l’inconscience avant que le groupe soit revenu dans la ville à proprement
parler. Quelque chose dans son expression était paisible, malgré son visage
barbouillé par ses épreuves. Il pouvait enfin baisser les bras, après tout ce
temps sans recours, sans espoir d’en sortir par lui-même. Sa respiration,
toutefois, rappelait les sévices qu’il avait traversés. Il expirait en un long
sifflement, comme une baudruche qui se dégonfle, pour ensuite rester au neutre
plusieurs secondes, avant d’inspirer sèchement, comme si son corps lui
rappelait par ce hoquet qu’il avait encore besoin d’air, qu’il habitait
toujours là.
« Son pouls est full lent », dit Gary, un paniqué.
« T’es-tu
médecin? », demanda Sophie.
« Non…
— Ben c’est ça. Ta
gueule. Tu ne sais pas ce que tu dis. »
Tobin conduisit aussi
vite que possible jusqu’au sein du Centre-Sud. Les voitures étaient rares dans
le coin; de nombreux visages apparurent sur leur chemin, flairant peut-être une
proie, mais ils étaient connus de la racaille des environs. La Mafia s’est cassé le nez contre
eux-autres, disait-on dans les ruelles. Les ivrognes et les crackheads ne pouvaient espérer faire
mieux. Personne ne s’interposa.
Il stationna sa
voiture aussi près de la grande place qu’il le put, puis courut aux nouvelles.
Il joua du coude auprès des gens qui s’étaient agglomérés dans la salle au-delà
des grandes portes, celle où les oraisons avaient lieu jadis. L’expression des gens
sur son chemin laissait croire au pire… Mais pas autant que les hululements
déchirés qu’il savait être ceux d’Aizalyasni.
Il n’avait pas besoin
qu’on lui dise pour comprendre que la situation était des plus graves.
Peut-être que le jeune homme allait mourir après tout. Peut-être que Martin ne
se remettrait jamais.
Tobin bouillait
en-dedans. Ces gens, c’étaient le peuple de Tricane. Ils n’étaient pas des
criminels, ils ne voulaient de mal à personne, pourtant ils étaient sans cesse
assaillis. Son honneur de gangster – si telle chose existait – demandait que
cet affront soit lavé par le sang. S’il en avait eu les moyens, il aurait
frappé sans délai. Sans pitié non plus… Pour se venger, il avait déjà pris
d’assaut à lui seul tous les motards de La Cité. Il y était resté, mais il
avait été porté par le même genre de juste furie qui l’habitait en ce moment.
Les gens s’écartèrent
pour laisser passer Martin, soutenu par Gary d’un côté et Sophie de l’autre.
Des fidèles prirent le relais pour supporter le blesser et l’approcher de Tim
et d’Aizalyasni.
Gary, libéré du poids
qu’il portait depuis la voiture, se tourna vers lui pour lui demander :
« Qu’est-ce qu’on fait? »
Tobin lui asséna un
coup de poing en pleine tronche qui le leva presque du sol.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire