dimanche 12 juin 2016

Le Nœud Gordon, épisode 424 : Trouver Martin, 4e partie

Karl poussa un soupir sec et intense, comme la vapeur qui s’échappe d’une bouilloire. Non seulement ces gamins avaient foutu la merde, mais ils avaient besoin de lui pour la ramasser. Ils voulaient un chef? Ils allaient l’avoir.
« Vinh, Djo, pression sur la plaie. Vous ne la lâchez pas une seconde. Mike, faut que tu amènes Tim au terminus, presto.
— Au Terminus? C’est à l’hôpital qu’il a besoin d’aller…
— Aizalyasni va pouvoir faire mieux pour le guérir que n’importe quel médecin. Qu’est-ce que vous attendez, vous trois? Go! Les autres, venez nous rejoindre. Toi, Sophie, fouille-le. » Il pointa Abel. « Trouve ses clés. Grouille! »
Tobin jogga jusqu’au garage. Il actionnait l’ouverture de la grille juste au moment où Sophie, encore à bout de souffle, lui amena le trousseau d’Abel. « Quand les autres vont être rentrés », dit-il, « tu leur dis de traîner les corps jusque dans le garage. En attendant, trouve du gaz, de l’huile, quelque chose, et crisse-en partout sur les murs. »
Il n’attendit pas son éventuelle réponse. Chaque seconde comptait : il se rendit aussi vite qu’il le put à la trappe. D’une main tremblante, il essaya les clés jusqu’à trouver la bonne.
Il ne s’était pas trompé : Martin se trouvait dans l’espace en-dessous, attaché et bâillonné, le visage tuméfié, les vêtements raidis par des couches de sang séché. Il luttait pour garder la tête relevée et les yeux ouverts. Il ne réagit pas lorsque Tobin trancha ses attaches, ni lorsqu’il le traîna jusqu’à l’escalier. Ce n’est qu’à ce moment qu’il retrouva une part de ses esprits, assez pour continuer sans être poussé. Martin gémit à chaque nouvelle marche, mais il porta son propre poids; une fois dehors, il fut toutefois incapable de reprendre pied.  Il menaçait de tomber chaque fois que Tobin desserrait son étreinte.
Les jeunes rayonnèrent de joie à la vue de Martin, mais leur joie ne dura qu’un instant, le temps qu’ils réalisent l’état pitoyable dans lequel il se trouvait. Tobin les laissa porter l’éclopé jusqu’à la voiture de Djo – toujours là où Tobin l’avait garée; il tourna les talons et retourna vers le bâtiment.
« Qu’est-ce que tu fous? », cria Sophie derrière lui.
« M’en va foutre le feu là-dedans. » Puis, entre ses dents : « C’est tout le temps les mêmes qui sont pognés avec le ménage… »
Martin sombra dans l’inconscience avant que le groupe soit revenu dans la ville à proprement parler. Quelque chose dans son expression était paisible, malgré son visage barbouillé par ses épreuves. Il pouvait enfin baisser les bras, après tout ce temps sans recours, sans espoir d’en sortir par lui-même. Sa respiration, toutefois, rappelait les sévices qu’il avait traversés. Il expirait en un long sifflement, comme une baudruche qui se dégonfle, pour ensuite rester au neutre plusieurs secondes, avant d’inspirer sèchement, comme si son corps lui rappelait par ce hoquet qu’il avait encore besoin d’air, qu’il habitait toujours là.
« Son pouls est full lent », dit Gary, un paniqué.
« T’es-tu médecin? », demanda Sophie.
« Non…
— Ben c’est ça. Ta gueule. Tu ne sais pas ce que tu dis. »
Tobin conduisit aussi vite que possible jusqu’au sein du Centre-Sud. Les voitures étaient rares dans le coin; de nombreux visages apparurent sur leur chemin, flairant peut-être une proie, mais ils étaient connus de la racaille des environs. La Mafia s’est cassé le nez contre eux-autres, disait-on dans les ruelles. Les ivrognes et les crackheads ne pouvaient espérer faire mieux. Personne ne s’interposa.
Il stationna sa voiture aussi près de la grande place qu’il le put, puis courut aux nouvelles. Il joua du coude auprès des gens qui s’étaient agglomérés dans la salle au-delà des grandes portes, celle où les oraisons avaient lieu jadis. L’expression des gens sur son chemin laissait croire au pire… Mais pas autant que les hululements déchirés qu’il savait être ceux d’Aizalyasni.
Il n’avait pas besoin qu’on lui dise pour comprendre que la situation était des plus graves. Peut-être que le jeune homme allait mourir après tout. Peut-être que Martin ne se remettrait jamais.
Tobin bouillait en-dedans. Ces gens, c’étaient le peuple de Tricane. Ils n’étaient pas des criminels, ils ne voulaient de mal à personne, pourtant ils étaient sans cesse assaillis. Son honneur de gangster – si telle chose existait – demandait que cet affront soit lavé par le sang. S’il en avait eu les moyens, il aurait frappé sans délai. Sans pitié non plus… Pour se venger, il avait déjà pris d’assaut à lui seul tous les motards de La Cité. Il y était resté, mais il avait été porté par le même genre de juste furie qui l’habitait en ce moment.
Les gens s’écartèrent pour laisser passer Martin, soutenu par Gary d’un côté et Sophie de l’autre. Des fidèles prirent le relais pour supporter le blesser et l’approcher de Tim et d’Aizalyasni.
Gary, libéré du poids qu’il portait depuis la voiture, se tourna vers lui pour lui demander : « Qu’est-ce qu’on fait? »
Tobin lui asséna un coup de poing en pleine tronche qui le leva presque du sol. 

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