dimanche 20 novembre 2016

Le Nœud Gordien, épisode 447 : Diversions

Olson ne s’était pas attendu à ce que ses alliés du Terminus le déclarent persona non grata. La nouvelle de la mort de Timothée l’avait ébranlé. Aurait-il réellement pu intervenir s’il s’était joint à la mission pour trouver Martin? Il ne le saurait jamais.
Son esprit avait été altéré au Terminus; c’était tout naturel qu’il se tourne dans cette même direction pour réparer ce qui avait été cassé. Il avait tout essayé, enfin presque. Il continuait à penser que si Pénélope acceptait la fusion de leurs esprits, elle pourrait le soigner de l’intérieur. Cette piste, il ne pouvait l’explorer avec personne d’autre.
Il lui restait une dernière chance : demander de l’aide à ses pairs. Il demeurait toutefois réticent à exposer des faiblesses que certains n’hésiteraient pas à exploiter. Malgré l’atmosphère de collaboration qui s’était installée à l’Agora, les rivalités et les intrigues des Maîtres – jaloux de leurs secrets, curieux d’apprendre ceux des autres – n’allaient certainement pas disparaître du jour au lendemain.
S’il outrepassait ses réticences pour confier ses difficultés à l’un d’eux, il choisirait Latour. En ce moment, c’était impossible : il avait dû retourner à Tanger pour renouveler les procédés qui défendaient l’ancienne maison de Kuhn et sa précieuse salle des archives. Il avait promis de revenir pour le premier tour de la petite Joute, à la fin de la semaine.
À court d’idée, désespéré, vidé de son énergie, incertain de ses propres pensées et émotions, Olson ne pouvait qu’attendre que le temps passe en restant à distance des autres, surtout Pénélope. Il ne voulait pas que personne le voit dans cet état.
Il fila jusqu’à l’Agora et monta au deuxième, où il choisit l’un des bureaux encore inoccupés, qu’il meubla d’une simple chaise pliante. Il espéra, à travers le silence et le dépouillement, trouver une mesure de soulagement.
Les accalmies s’avérèrent rares et de courte durée. L’impression d’irréalité et le cliquetis dans sa tête n’étaient jamais loin – méditation, visualisation, routine purificatrice, chanter, danser, tourner sur lui-même jusqu'à s’étourdir, peu importe ses efforts, aucune stratégie ne réussissait à l’apaiser plus que quelques minutes.
Il était affaissé sur sa chaise, le visage entre les mains, lorsque Tobin entra dans le bureau.
« Oh. J’pensais pas que la place était prise. »
Olson s’empressa de masquer sa détresse. N’avait-il pas verrouillé la porte? « Qu’est-ce que tu viens faire ici?
— J’allais faire mes exercices… Pis toi, qu’est-ce que tu faisais là?
— Je me reposais un peu.
— Pour être honnête, t’as bien plus l’air d’avoir besoin de te changer les idées… » Il n’attendit pas de réponse. « Moi aussi, en fait. Viens t’en : je sais exactement de quoi t’as besoin. »
Pourquoi pas? Après tout, la solitude n’avait pas si bien fonctionné.

Apparemment, selon Tobin, se changer les idées revenait à boire dans un bar de danseuses. Olson était certes un fin appréciateur de féminité, mais pendant qu’il gravissait les marches du Club Céleste, il se sentait comme un œnologue à qui on aurait servi avec fierté la pire piquette.
L’intérieur s’avéra beaucoup moins crade qu’il l’avait imaginé. Le décor était neuf; la musique était bonne; les femmes étaient superbes, l’une d’elle presque racée. Le portier les guida jusqu’à une banquette; pendant qu’Olson s’asseyait, Tobin fit signe à la danseuse que Daniel avait remarquée. Tobin lui chuchota quelques paroles à l’oreille; sans dire un mot, elle grimpa sur la table et se mit au travail.
Absolument époustouflante, son soutien-gorge et sa jupe à paillettes avaient la même teinte que ses cheveux, un rouge qui n’existait guère dans la nature. Ses souliers aux talons vertigineux ne nuisaient en rien ses déplacements. Elle ondulait avec une grâce incroyable, comme si elle était faite d’un fluide et non de chair et d’os.
Il remarqua à peine lorsqu’une serveuse arriva avec deux bières et une bouteille de Jack Daniel’s. Chaque table avait une sorte de corniche où les consommations pouvaient être déposées sans risquer d’être renversées par les danseuses. Tobin remplit les verres pendant qu’Olson se laissait hypnotiser – le mot n’était pas exagéré – par la fille en rouge.
Il en avait douté, mais il fallait l’admettre que Tobin avait gagné son pari. Même la pièce détachée dans son crâne semblait moins dérangeante qu’avant leur arrivée.
La chanson se termina et la fille descendit, tout sourire. Olson applaudit. Tobin la paya en murmurant quelque chose; elle acquiesça et s’éloigna à petits pas.
« Pas pire, hein?
— Je suis sincèrement surpris. » La danseuse était moins parfaite que Pénélope – évidemment –, mais sa compagne ne savait pas aguicher comme une pro. « Qu’est-ce que tu lui as dit?
— De revenir dans une dizaine de minutes. »
Olson fut heureux de l’entendre. Tobin lui tendit deux verres, whisky et bière. Il goûta l’un, puis l’autre. « Tu viens souvent ici?
— Juste quand mes amis en ont besoin. »
Mes amis… La tourmente des derniers jours lui avait fait réaliser qu’au fond, il n’avait que Pénélope dans sa vie. Sans elle, il ne resterait rien. Dans ce contexte, qu’un homme – même un simple novice – l’appelle son ami lui faisait du bien.
« Hey, j’peux te poser une question?
— Tout ce que tu veux.
— Je m’en viens pas pire dans la méditation que tu m’as montrée, l’affaire de l’espace intérieur, t’sais? Je comprends mieux comment ça fonctionne en-dedans », dit-il en tapotant sa tempe.
« C’est très bien. En fait, c’est l’objectif.
— J’ai entendu dire que les Maîtres sont capables de changer les pensées, les souvenirs, tout ça… Toi, t’es-tu capable?
— Oui. Ce n’est pas facile, mais comme pour le reste, avec la bonne préparation…
— Ah ouin? Et pis… Comment ça marche?
— Tu en as pour des années de pratique avant d’en arriver là…
— Oui, oui, je sais… mais, théoriquement? »
Olson hésita une seconde. C’était le genre de secret qui méritait trois faveurs… Mais Tobin ne lui demandait pas de lui révéler le procédé, seulement les principes sous-jacents. Pourquoi le priver de ces informations? De toute manière, ce n’est pas comme s’il disposait des connaissances et du pouvoir brut nécessaires pour en faire quoi que ce soit, n’est-ce pas?

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