samedi 2 septembre 2017

Le Nœud Gordien, épisode 486 : Avant la tempête

Mike Tobin trouvait étrange que Timothée soit de retour dans la peau de son ami Rem. Enfin, son ancien ami. Dans le monde mouvant du crime organisé, la loyauté demeurait la vertu cardinale. Rem avait trahi son camp; il devait être puni. Avait-il pour autant mérité un sort pire que la mort?
Mike y pensait sans cesse, surtout lorsqu’il essayait de se rendormir au milieu de la nuit…
À quoi ressemblait l’existence douloureuse d’une âme prisonnière de l’urne? Était-ce une sensation d’inconfort, comme l’effet d’un coup de pied dans les couilles maintenu indéfiniment? Ou aigüe, comme un dard planté dans la chair? Intense, comme s’il était brûlé vif? Continue? Intermittente? Pourrait-il s’y habituer, après dix jours, dix mois, dix ans?
Il essayait de ne pas y penser. Mais il y revenait toujours. Chaque fois qu’il croisait Tim…
Les Quatre fréquentaient rarement le réfectoire – Mike n’était même pas certain qu’ils aient encore besoin de se nourrir. La pièce commune lui servait de refuge, où il pouvait se changer les idées avec les autres habitants du Terminus.
Gary lisait à voix haute le journal de la veille. L’article avait pour titre Funérailles pour un caïd. La plupart des fidèles ignoraient les détails de la chute du clan Fusco – ils ne retenaient que les salauds qui avaient voulu les sortir du Centre-Sud avaient perdu la partie. Mike avait pris part au conflit : les hommes de la banlieue nord avaient aidé les Grecs à faucher les Italiens, frappant partout où les Trois le demandaient. Grâce à la télépathie, ils connaissaient dans quelle mesure chacun de leurs ennemi posait un risque; ils avaient fait une offre sur mesure à tous ceux qui s’avéraient susceptibles de joindre leur cause, ou simplement de s’écarter de leur chemin. Une offre qu’ils ne voulaient pas refuser. « Karma’s a bitch », conclut Gary en tournant la page.
« Écoutez celle-là : La fondation Randall James et la direction des Sceptiques associés ont annoncé, par voie de communiqué, que leur ‘Million dollar challenge’ avait été relevé. Le défi, dont l’objet est de démontrer l’existence du paranormal ou du surnaturel via une démarche scientifique, n’avait jamais été réussi auparavant… »
James vint déposer le déjeuner de Gary, une assiette toute en couleurs qui répandait un arôme des plus alléchants. « Comme d’habitude, Mike? » Tout le monde au Terminus se délectait depuis que le sympathique barbu s’était découvert une passion pour la cuisine – même si certains murmuraient que c’était la Trinité qui la lui avait mise dans la tête. « Tu veux dire qu’il aurait suffi que l’un des Trois leur montre ce dont il était capable pour qu’on devienne millionnaires?, dit James. Eh ben!
— Ouais », répondit Sophie, la bouche pleine de bacon. « Il doit y avoir un truc de passe-passe, c’est clair que ça ne doit pas être de la vraie magie. Sinon l’autre gang de connards obsédés par le secret aurait empêché ça. Fucking connards!
— Est-ce que ça dit qui a empoché le gros lot?, demanda Mike.
Le communiqué indique que ce sera au gagnant de révéler les détails au moment de son choix, continua Gary, en raison d’une entente préalable avec la Fondation. L’organisation assure toutefois qu’en temps et lieu, toutes les informations pertinentes seront transmises avec le souci de transparence nécessaire à toute démarche scientifique.
— Ben là!, s’excla Mike. C’est pas mal agace, leur affaire!
— Attends, c’est pas fini : la publication de ce communiqué coïncide avec l’annonce par CitéMédia d’une émission spéciale intitulée ‘La magie révélée’. Ni la Fondation, ni la direction de CitéMédia n’a offert d’autre commentaire. Fuck, les gars : l’émission… c’est ce soir! Je veux tellement voir ça!
— Moi, je… » Mike s’interrompit : deux mots venaient d’apparaître en lettres de feu dans sa tête. ALERTE ROUGE. Toute l’équipe de sécurité s’élança vers l’entrée principale.

Le soleil du matin apparaissait à peine au-dessus des édifices qui bordaient la place de la Vieille-Gare. Les Quatre se tenaient déjà devant le Terminus, à l’affût d’une menace que Mike ne pouvait pas encore identifier.
« C’est quoi le problème? », demanda-t-il.
Avant qu’il ait eu sa réponse, trois silhouettes apparurent au détour de l’accès nord. Les yeux plissés, Mike reconnut Gordon. L’homme semblait avoir connu des jours meilleurs… Celui du centre souriait avec une expression si exagérée qu’il avait l’air de porter un masque. À sa gauche marchait une femme que Mike avait bien connue… Gen, son ancienne maîtresse. « Qu’est-ce qu’elle fout là, elle?
— Pas elle », souffla Martin. « Hill.
— Quoi?
— Soyez prêts à tirer à notre signal, dit Karl.
— Sur qui?
— Celui du centre. Harré… »
Harré… Karl lui en avait parlé. Magicien surpuissant d’une autre époque, tueur d’une génération d’initié… Revenu à la vie en usurpant la chair de l’un des Seize. Il retira le cran de sûreté de son arme en avalant difficilement.
« Trois contre quatre, en plus de nous pis nos guns », chuchota Gary à son oreille. « Ça va être un massacre! »
L’inconscient ne comprenait pas à quoi il se mesurait. « La ferme. Concentre-toi sur ce qui se passe. Et ne tire pas avant le signal! »
Les nouveaux venus se campèrent devant les Quatre. Gordon parla en premier. « Nous venons en paix…
— La trêve a été rompue, dit Aizalyasni. Vous êtes sur notre territoire.
— Nous ne sommes pas ici au nom des Seize : nous… »
Harré l’interrompit. « Est-ce que c’est vous qui avez bloqué ma vision du futur? »
Les Quatre froncèrent les sourcils comme un seul homme. « Non. Est-ce vous qui avez débloqué le deuxième Cercle?
— Oh, ça, oui! », répondit Harré, jovial. Mike ne comprenait qu’à moitié cet échange – en fait, il n’écoutait pas vraiment, plutôt à l’affût d’un signe d’hostilité… Une goutte de sueur roula sous son aisselle.
« Vous nous voulez quoi? », demanda Aizalyasni, sur un ton que Mike associait davantage à Karl.
« J’ai besoin de vous quatre pour accomplir mon plan.
— Ton plan?, rétorqua Timothée. Quoi, tuer tous les Maîtres? Avoir le monopole de la magie?
— C’est ce que vous croyez que je veux? » Il se tourna vers Gordon. « Vraiment? C’est ce que vous croyez, tous? » Gordon haussa les épaules; Harré éclata de rire. « Ah, mais non! Ah, mais non! Non, non, non, non, non!
— C’est quoi, d’abord?, demanda Karl.
— Et quelle que soit la réponse, renchérit Martin, pourquoi ferions-nous confiance à un menteur, à un meurtrier?
— C’est simple, répondit Harré. Regardez dans mon esprit… Voyez la réponse à toutes vos questions. Je n’ai plus rien à cacher. » Il ouvrit les bras en signe d’invitation.
Les Quatre le dévisagèrent un instant, puis leur défiance disparut d’un coup, remplacée par une expression abasourdie. « Nous pouvons comprendre cet objectif, dit Martin. Mais pas à n’importe quel prix. Nous voulons d’abord et avant tout vivre en paix…
— Vous le savez, maintenant : le rôle que je vous réserve n’implique aucune violence, aucune contrainte. Et avec un peu de chance, aucun obstacle. Je vais réussir, avec ou sans votre aide. Mais avec vous, mon objectif pourrait être atteint… Dès aujourd’hui. 
— Aujourd’hui?!, s’exclama Mike.
— Oui, ce soir, répondit Harré. L’œuvre suprême… »

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