dimanche 13 septembre 2009

Le Noeud Gordien épisode 87

Épisode 87 : Première neige

L’air était vif depuis plus d’une semaine, fouetté par des pluies fréquentes et glaciales. Les arbres étaient maintenant nus; l’hiver ne tarderait pas à recouvrir de ses ailes blanches le ciel et la terre.

Mélanie Tremblay étaient de ceux pour qui l’extérieur représentait essentiellement le lieu de transition entre le point A et le point B – bien rarement une destination en soi.

Elle marchait à la rencontre de Jean Smith, qui avait eu l’impolitesse de la convoquer dehors – mais pire encore, loin du Centre-ville! Comme toujours, elle était élégamment vêtue, chaussée et gantée; ses choix impeccables sur le plan du style étaient malheureusement peu appropriés pour encaisser la morsure du froid. C’est toute grelottante qu’elle arriva finalement au belvédère du mont Louis d’où on pouvait voir La Cité s’étendre d’un horizon à l’autre.

Elle jura intérieurement : elle était à l’heure mais encore seule. Elle se mit à tourner en rond pour se réchauffer. Si Smith voulait la rendre inconfortable, il n’aurait pas pu mieux faire.

Il tourna le coin une minute après elle en sifflotant, l’air nonchalant.

« Belle journée, n’est-ce pas? »

Mélanie tira les pans de son manteau contre elle.

Il poursuivit : « Le vieux et Batakovic la même année. Qui l’eut cru. La vieille garde est maintenant chose du passé… »

Il n’avait pas tort : à l’annonce du décès du Conseiller, elle avait eu la même pensée. Fusco et Goudron indépendants du Conseil Central, Lev Lytvyn et Frank Batakovic emportés par la maladie, même Szasz qui, semble-t-il, s’apprêtait à passer le flambeau…

« C’est toi et moi maintenant, Mélanie.

— C’est vite dit; j’administre, mais je ne décide pas.

— Ça n’est pas exactement vrai : en administrant, tu fais prospérer notre organisation au-delà de ce que nous pourrions espérer en nous limitant à ces activités dans lesquelles nous nous spécialisons… Le vieux avait du flair pour t’avoir trouvée… »

Mélanie Tremblay n’était pas de celles qui acceptaient facilement un compliment. « J’ai fait mon travail, c’est tout.

— Oui, et avec brio. Je sais que depuis le premier jour, tu tenais à garder une relative indépendance…

— Oui. Même si M. Lytvyn et les autres m’ont fait une place au Conseil, je me suis toujours vue comme une outsider; l’organisation de M. Lytvyn est mon client numéro un, mais elle reste un client parmi d’autres…

— Les événements des derniers mois ont créé un vide dans notre organisation. Je suis ici pour te suggérer de réfléchir à ta carrière et à ton futur. Une femme comme toi est une chose rare. Je ne crois pas qu’il y ait meilleur candidat pour reprendre certains dossiers de Batakovic…

— Non merci; je n’ai aucun désir de me faire trafiquante de drogues…

— Évidemment, je ne parlais pas de ces dossiers-là… »

Mélanie se replia sur ses pensées pendant plusieurs secondes. De gros flocons se mirent à tomber paresseusement sur la ville. Elle souffla à l’intérieur de ses mains gantées pour les réchauffer.

« Je vais devoir y penser.

— L’argent c’est une belle chose, le pouvoir c’est encore mieux…

— On croirait entendre Szasz.

— Il n’a pas toujours tort! Penses-y bien, mais penses-y vite. Les affaires laissées en suspens coûtent cher…

— À propos…

— Oui?

— Une clause privée du testament de M. Batakovic laisse un héritage de 3.1 millions d’euro à Félicia Lytvyn…

— Et?

— Je ne sais pas comment elle a fait pour se retrouver sur son testament, mais c’est louche… Elle m’a approchée il y a quelque temps pour une combine… Je ne l’ai pas écoutée, mais c’était peut-être ce qu’elle avait en tête… La clause est récente… »

Smith haussa les épaules avec un sourire mystérieux. « Que peut-on y faire, sinon respecter ses dernières volontés? »

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