dimanche 17 janvier 2010

Le Noeud Gordien épisode 103

La chambre secrète, 2e partie
La pièce était spacieuse, trop pour cadrer avec la structure extérieure de la maison ou des édifices adjacents. Elle dessinait un grand rectangle de vingt mètres par douze, sans fenêtre ni autre porte que celle par laquelle Tobin était entré, suivi de près par Tricane.
Une pléthore d’objets hétéroclites remplissait la pièce, littéralement de mur à mur. Il fallait un effort à l’œil pour discerner les éléments de ce fatras : un aquarium aux parois couvertes de gros champignons gris et plats; le squelette de quelque rongeur sur un socle, tenu en place par du fil de fer; une ardoise blanchie de symboles ondulants et incompréhensibles; un bac à jardinage où étaient fichés une demi-douzaine de tournevis rouillés espacés régulièrement; dans un coin, un tas de coussins sales et dépareillés disposés à la manière d’un lit de fortune; un fusil à pompe au canon enfoncé dans un tas de débris métalliques et de guenilles; partout, des bouteilles, des fioles, des sacs, des poches, des coffres contenant dieu sait quoi. Une grande table antique trônait au milieu de la pièce, la seule chose propre et découverte dans ce capharnaüm. Tobin nota distraitement qu’un arôme de patchouli masquait toutes les autres odeurs.
Derrière lui, Tricane dit : « Déshabille-toi ».
Karl haussa les sourcils en se retournant, son mouvement ralenti par sa jambe – sa blessure ne se laissait jamais oublier longtemps. Mais Tricane semblait parfaitement sérieuse. Et lucide.
Son attitude avait radicalement changé depuis la cérémonie… Elle s’habillait comme un arbre de Noël – c’était quand même une nette amélioration par rapport à ses habituelles guenilles puantes – mais surtout, ses discours étaient beaucoup moins confus, à un point tel qu’elle paraissait pratiquement normale. Que s’était-il passé? Elle avait soigneusement esquivé toutes les questions de Karl, autant relatives à l’amélioration de sa santé mentale qu’à propos de la cérémonie à laquelle il avait assisté. Pour les unes comme les autres, elle se contentait de dire « lorsque le temps sera venu, tu auras toutes tes réponses! »
L’instinct de Karl lui disait que le temps était venu.
Il n’était pas le plus pudique des hommes; il se déshabilla sans gêne, quoiqu’au prix de quelques efforts – il lui était difficile de retirer ses pantalons en raison de sa blessure, mais sa routine devenait bien rodée. Il lui suffit de s’asseoir sur la table et d’utiliser une caisse de bois afin de supporter sa jambe pour se déchausser et enlever ses jeans.
Il se releva en s’appuyant sur sa canne. Tricane le lorgna de haut en bas avec un sourire coquin.
« Couche-toi là », dit-elle en pointant la table. Il obtempéra sans hésiter. Tricane fit quelques pas pour se positionner derrière sa tête.
« Tu es prêt à me suivre, Karl? Tu es prêt à me faire confiance? Tu es prêt à avoir la réponse à tes questions?
— Oui. » Et c’était vrai. À chacun des pas qui l’avaient conduit jusqu’ici, il avait douté… douté de Tricane, de sa santé mentale, de sa capacité à tenir sa parole… Mais cette fois, il était déterminé à aller jusqu’au bout. N’avait-elle pas mentionné qu’elle pourrait peut-être guérir sa jambe?
Karl Tobin sentit la froideur d’une lame de métal se poser sur sa gorge.
« Une faveur pour une vie », dit Tricane posément. L’adrénaline galvanisa le corps de Tobin. Toute la scène prit un air irréel. Il ne bougea pas; la lame lui paraissait affutée comme un rasoir.
« Ta vie est à moi, Karl Tobin ». Il retint son souffle. Il ne s’était jamais senti aussi impuissant de toute sa vie.

1 commentaire:

  1. Oh oh... Qu'est-ce que Tricane fera de Tobin? Quelle sera la réponse aux questions de Karl?

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