Édouard devait
être en train de rêver. Ses paupières battaient de fatigue comme les ailes d’un
papillon. Le cuir du siège dans son dos paraissait irréel, pas moins que la
présence de l’homme de la photo… Il connaissait son nom… Le nom de l’homme à la
photo… sur le bout de la langue…
« Monsieur
Gauss, auriez-vous l’amabilité de m’expliquer ce que signifie ceci? » Le passager de la limousine
tenait l’un des posters à son effigie qu’Édouard avait affichés partout dans le
quartier. « C’est bien votre numéro qui est indiqué ici, je ne me trompe pas?
— C’est
exact.
— Nous ne
nous connaissons pas; que voulez-vous accomplir en diffusant pareil avis de
recherche?
— Je voulais
comprendre…
— Comprendre quoi?
— …comprendre
ce qui s’est passé lorsque je me suis approché de votre bureau… »
Soudainement, Édouard se souvint du nom de l’homme. La chaleur et l’hilarité
que le divin liquide lui avait procurées réapparurent en une brève vague. Tout
sourire, il s’exclama : « Gordon! »
« Qui
vous a dit mon nom?
— C’est
Eleftherios… J’ai vu Hoshmand, mais Hoshmand n’est pas important… » Les
détails de sa rencontre avec Eleftherios / Aleksi lui paraissaient déjà flous… « Il
s’intéresse à moi… J’ai compris maintenant… Le pouvoir infini… Exposer ses
rivaux… » Plus il essayait de les mettre en forme, plus les idées
s’emmêlaient et devenaient difficiles à saisir dans leur évanescence.
Gordon cacha
sa surprise derrière de longues secondes de silence. « Est-ce qu’il vous a
fait une offre?
— Il m’a dit
qu’il m’expliquerait tout… Que nous aurions cette conversation une autre
fois… Il m’a montré ses pouvoirs…
— Il n’a pas
perdu de temps! Eh bien, monsieur Gauss, s’il a décidé qu’il vous initierait, nous
n’avons plus besoin de ces cachotteries… Bienvenue parmi nous. Même si j’ai été
plutôt agacé par votre surveillance, je dois saluer votre ténacité! Je préfère
encore que votre persévérance soit mise à profit auprès des nôtres – surtout
considérant que votre curiosité aurait pu menacer votre santé… Mais tout ça est
du passé! Vous semblez tomber de
fatigue, je ne vous retiendrai pas plus longtemps. Étudiez bien et peut-être
pourrai-je un jour contribuer à votre formation. La moindre des choses qu’on
puisse dire, c’est que vous avez su attirer mon attention! »
Sans
répondre, sans même sourire, Édouard quitta la limousine et monta jusqu’à sa
chambre. Il n’avait jamais autant voulu dormir de toute sa vie.
Il se
réveilla confus, surpris de se découvrir au lit. Il n’avait aucune idée de la
manière dont la journée précédente s’était terminée. Un tour de son appartement
lui fit découvrir quelques étrangetés… Alors qu’il avait l’habitude de ranger
ses vêtements aussitôt dévêtu, ce qu’il portait la veille se retrouvait
pêle-mêle par terre au milieu de la chambre – bottes et veste d’hiver incluses.
L’écran de son ordinateur lui fournit le fil d’Ariane qui lui permit un premier
pas vers la compréhension : l’affiche AVEZ-VOUS VU CET HOMME? y était
encore visible.
Est-ce que sa
démarche proactive avait porté fruit? Est-ce que c’était la raison pour
laquelle il ne restait de la veille qu’un vide, un voile parfaitement opaque?
Un déclic se
fit dans son esprit. J’avais prévu que ça
puisse se passer ainsi…
Il fondit
dans sa pile de linge pour trouver son téléphone avec un mélange d’excitation
et d’appréhension. Il ne se souvenait pas dans quelles circonstances, mais
l’application Magnétophone avait été
activée; il tenait entre les mains un enregistrement de tout ce qui s’était
produit en sa présence durant les quatorze dernières heures.
Le cœur
battant, il plongea dans le mystère de tout ce temps qui échappait désormais à
sa conscience.
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