dimanche 6 juin 2010

Le Noeud Gordien, épisode 123 : Penthouse


Hoshmand passa un coup de fil à l’écart pendant que le soleil d’hiver finissait de disparaître à l’horizon. Quoiqu’il n’entendit pas les mots, à voir ses expressions, Édouard percevait que la discussion était source de contrariété pour M. Hoshmand. L’air renfrogné, il dit à Édouard : « Suivez-moi. Nous ne pouvons pas discuter ici ».
Sans attendre de réponse, il tourna les talons et s’éloigna d’un pas vif. Édouard n’eut d’autre choix que de le suivre.
Sans dire un mot, ignorant les questions d’Édouard, Hoshmand marcha au même rythme jusqu'à l’Hôtel Royal, adjacent au complexe Les Muses. Dans l’ascenseur, Hoshmand inséra la clé qui permettait de monter jusqu’au penthouse. Lorsque les portes s’ouvrirent, il demeura en place en montrant la sortie à Édouard. Avant que les portes ne se referment, il dit : « Soyez poli ». Son ton exprimait une irritation qu’il ne cherchait pas à cacher.
Un bruissement plus loin dans la suite indiquait qu’il n’était pas seul. Il avança prudemment, à l’affût de tout. Il sursauta lorsqu’il entendit une voix éloignée lui dire : « Par ici, M. Gauss! Approchez! »
Il traversa une grande aire ouverte aménagée comme une salle à manger; à sa gauche, il distinguait une cuisine complète. Le penthouse ressemblait plus à un appartement luxueux qu’à une chambre d’hôtel. Édouard aperçut une silhouette humaine derrière des portes françaises aux carreaux givrés. Il prit une profonde inspiration et tira les vantaux.
Un homme d’une vingtaine d’années était affaissé sur un grand lit. À l’autre bout de la pièce, une télévision muette produisait la seule lumière de la pièce.
« Aleksi Korhonen », dit Édouard en le reconnaissant.
« Édouard Gauss », répondit l’autre avec un sourire. Ses paupières semblaient lourdes; il avait au visage le sourire un peu niais de l’ivrogne ou du drogué. « Alors, on bat les buissons pour faire sortir le renard?
— Ma battue a assurément fait sortir quelque chose! »
Aleksi éclata d’un fou rire incontrôlable. Les yeux larmoyants, il dit en peinant entre deux vagues d’hilarité : « Trouver Hoshmand… Avec… avec… un porte-voix! » Il se tapait les cuisses comme si c’eût été la chose la plus drôle de l’histoire.
La bonne humeur d’Aleksi fit sourire Édouard. Il ne doutait pas un instant que le jeune homme fut sous l’effet de quelque drogue.
« Pourquoi avoir donné la photo de cet homme à Alexandre? 
Cet homme? Vous ne connaissez pas encore son nom? »
Édouard ne répondit pas.
« Il s’appelle Gordon. Parfois c’est son nom, parfois son prénom.
— Mais encore? 
— Prendriez-vous un verre, M. Gauss? »
Aleksi prit un verre vide sur la table de chevet. Édouard n’avait pas remarqué le décanteur de cristal ciselé qu’Aleksi avait déposé à côté du lit, à portée de la main. Il remplit le verre et le tendit à Édouard. Il fit tinter la carafe contre le verre avant d’en prendre une lampée à même le goulot.
Édouard en but une petite gorgée. Il s’attendait à ce que le liquide soit du vin : il avait la même couleur rouge et profonde. Il fut surpris de découvrir qu’il goûtait l’eau, mais pas n’importe laquelle : l’eau la plus pure, la plus fraîche qu’il eût jamais avalée; il la sentit descendre en lui comme une vague de fraîcheur, comme un frisson agréable partant de sa gorge et allant jusqu’à ses extrémités. Après cette première vague, une partie du frisson demeurait logée au creux de sa poitrine, comme une bulle d’euphorie qui diffusait dans tout son corps l’impression d’être habité par un petit rire doux. Son sourire s’accentua. Il se sentait bien, libre, pétillant d’énergie et de spontanéité.
« Wow, qu’est-ce que c’est que ça? 
— C’est une préparation de mon cru », répondit Aleksi. « Je pense bien que Gordon s’en est servi comme base pour en faire une version plus concentrée et plus… sexuelle avec la drogue O. »
Malgré son sourire qui ne le quittait plus, Édouard se dressa comme un chien de prairie en état d’alerte.
« Je vois que j’ai votre attention, M. Gauss. Je peux vous appeler Édouard?
— Bien sûr… Je peux vous appeler Aleksi?
— Non, non, non. Appelle-moi plutôt par mon vrai nom », répondit le jeune homme.
Édouard fronça les sourcils sans toutefois perdre son sourire benêt.
« Prends une autre gorgée et je t’explique», dit-il alors qu’il portait à nouveau la bouteille à ses lèvres. 

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