Hoshmand
passa un coup de fil à l’écart pendant que le soleil d’hiver finissait de
disparaître à l’horizon. Quoiqu’il n’entendit pas les mots, à voir ses
expressions, Édouard percevait que la discussion était source de contrariété
pour M. Hoshmand. L’air renfrogné, il dit à
Édouard : « Suivez-moi. Nous ne pouvons pas discuter ici ».
Sans attendre
de réponse, il tourna les talons et s’éloigna d’un pas vif. Édouard n’eut
d’autre choix que de le suivre.
Sans dire un
mot, ignorant les questions d’Édouard, Hoshmand marcha au même rythme jusqu'à
l’Hôtel Royal, adjacent au complexe Les Muses. Dans l’ascenseur, Hoshmand
inséra la clé qui permettait de monter jusqu’au penthouse. Lorsque les portes
s’ouvrirent, il demeura en place en montrant la sortie à Édouard. Avant que les
portes ne se referment, il dit : « Soyez poli ». Son ton
exprimait une irritation qu’il ne cherchait pas à cacher.
Un bruissement
plus loin dans la suite indiquait qu’il n’était pas seul. Il avança prudemment,
à l’affût de tout. Il sursauta lorsqu’il entendit une voix éloignée lui
dire : « Par ici, M. Gauss! Approchez! »
Il traversa
une grande aire ouverte aménagée comme une salle à manger; à sa gauche, il
distinguait une cuisine complète. Le penthouse ressemblait plus à un
appartement luxueux qu’à une chambre d’hôtel. Édouard aperçut une silhouette
humaine derrière des portes françaises aux carreaux givrés. Il prit une profonde
inspiration et tira les vantaux.
Un homme
d’une vingtaine d’années était affaissé sur un grand lit. À l’autre bout de la
pièce, une télévision muette produisait la seule lumière de la pièce.
« Aleksi
Korhonen », dit Édouard en le reconnaissant.
« Édouard
Gauss », répondit l’autre avec un sourire. Ses paupières semblaient
lourdes; il avait au visage le sourire un peu niais de l’ivrogne ou du drogué.
« Alors, on bat les buissons pour faire sortir le renard?
— Ma battue a
assurément fait sortir quelque chose! »
Aleksi éclata
d’un fou rire incontrôlable. Les yeux larmoyants, il dit en peinant entre deux
vagues d’hilarité : « Trouver Hoshmand… Avec… avec… un porte-voix! » Il se tapait les
cuisses comme si c’eût été la chose la plus drôle de l’histoire.
La bonne
humeur d’Aleksi fit sourire Édouard. Il ne doutait pas un instant que le jeune
homme fut sous l’effet de quelque drogue.
« Pourquoi
avoir donné la photo de cet homme à Alexandre?
— Cet homme? Vous ne connaissez pas encore
son nom? »
Édouard ne répondit
pas.
« Il
s’appelle Gordon. Parfois c’est son nom, parfois son prénom.
— Mais
encore?
—
Prendriez-vous un verre, M. Gauss? »
Aleksi prit
un verre vide sur la table de chevet. Édouard n’avait pas remarqué le décanteur
de cristal ciselé qu’Aleksi avait déposé à côté du lit, à portée de la main. Il
remplit le verre et le tendit à Édouard. Il fit tinter la
carafe contre le verre avant d’en prendre une lampée à même le goulot.
Édouard en but une petite gorgée. Il s’attendait à ce que le liquide soit du vin :
il avait la même couleur rouge et profonde. Il fut surpris de découvrir qu’il
goûtait l’eau, mais pas n’importe laquelle : l’eau la plus pure, la plus
fraîche qu’il eût jamais avalée; il la sentit descendre en lui comme une vague de
fraîcheur, comme un frisson agréable partant de sa gorge et allant jusqu’à ses
extrémités. Après cette première vague, une partie du frisson demeurait logée
au creux de sa poitrine, comme une bulle d’euphorie qui diffusait dans tout son
corps l’impression d’être habité par un petit rire doux. Son sourire
s’accentua. Il se sentait bien, libre, pétillant d’énergie et de spontanéité.
« Wow,
qu’est-ce que c’est que ça?
— C’est une
préparation de mon cru », répondit Aleksi. « Je pense bien que Gordon
s’en est servi comme base pour en faire une version plus concentrée et plus…
sexuelle avec la drogue O. »
Malgré son
sourire qui ne le quittait plus, Édouard se dressa comme un chien de
prairie en état d’alerte.
« Je
vois que j’ai votre attention, M. Gauss. Je peux vous appeler Édouard?
— Bien sûr…
Je peux vous appeler Aleksi?
— Non, non,
non. Appelle-moi plutôt par mon vrai nom », répondit le jeune homme.
Édouard
fronça les sourcils sans toutefois perdre son sourire benêt.
« Prends
une autre gorgée et je t’explique», dit-il alors qu’il portait à nouveau
la bouteille à ses lèvres.
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