dimanche 30 mai 2010

Le Noeud Gordien, épisode 122 : Proactif


À défaut d’avoir permis de répondre à toutes les questions d’Édouard, sa rencontre avec le professeur Lapointe avait éliminé quelques possibilités.
La folie et le somnambulisme auraient pu être rayés d’office du fait qu’Alexandre avait été lui aussi en proie au phénomène auquel Édouard s’était buté. Le fait que les deux hommes aient agi pareillement en se détournant de l’édifice laissait croire à une influence extérieure et non à quelque anomalie psychologique; c’est ce qui avait conduit Édouard à aller frapper à la porte d’un hypno-thérapeute plutôt qu’à celle du département de psychiatrie.
Le professeur Lapointe lui avait assuré qu’on n’aurait pas pu l’hypnotiser à son insu en raison de sa méfiance. En enquêteur consciencieux, Édouard avait tout de même poussé ses recherches sur le sujet. Plus il se documentait, plus la piste de l’hypnose était mise à mal. De un, on n’aurait pas pu l’hypnotiser sans l’approcher; personne ne lui avait parlé durant ses longues heures de surveillance. De deux, comment Alexandre aurait-il pu l’être alors que Claude et Édouard ne l’avaient pas perdu des yeux durant son essai?
La possibilité de suggestion post-hypnotique compliquait l’analyse de la situation : il était possible d’implanter des commandes à un sujet en état de transe pour les déclencher plus tard grâce à un signal précis - un mot, une heure, une circonstance… Il était également possible de créer une forme d’amnésie sélective en rendant des souvenirs inaccessibles à la partie consciente de l’esprit. Il aurait été possible qu’on implante une suggestion dans l’esprit d’Édouard ET Alexandre, mais l’idée de rapprochait davantage du délire paranoïaque.
Qui étaient ces gens? Quels étaient leurs motifs? Le mystère demeurait entier.
Aleksi Korhonen avait attiré l’attention d’Alexandre sur cet homme qui avait côtoyé son père durant la production originale de l’Orgasmik.
Édouard l’avait surveillé pour tenter d’en savoir plus.
Laurent Hoshmand, apparemment sorti de nulle part, surveillait Édouard et lui avait révélé son amnésie récurrente.
Il avait commencé sa surveillance pour meubler ses jours blafards cet automne. Cette énigme ne le concernait pas. Découvrir son manège amnésique l’avait rendue autrement personnelle.
En réfléchissant à toute cette affaire, il ne pouvait dégager qu’une certitude : peu importe qui était responsable de quoi, les partis impliqués semblaient être pris dans un réseau de surveillance et de contre-surveillance.
Édouard décida donc de capitaliser sur cette information pour passer à une approche proactive.
Il prépara son matériel et retourna se stationner à proximité de l’édifice qu’il avait surveillé durant l’automne.
Fort de ses expériences passées, il installa une caméra sur le tableau de bord de sa voiture; elle pointait en direction de l’entrée de l’édifice. Si l’amnésie le reprenait, il pourrait le savoir.
Il marcha d’un pas décidé vers l’édifice, l’air froid piquant dans sa gorge serrée. Il craignait que sa conscience s’éteigne encore et qu’en un clin d’œil, il se retrouve ailleurs sans même se souvenir ce qu’il avait entrepris.
Lorsqu’il poussa la porte d’entrée, il se permit un soupir de soulagement.
Un gardien de sécurité l’attendait derrière un kiosque où Édouard pouvait entrevoir une série de moniteurs qui montraient les environs sous tous les angles. Le gardien semblait davantage intéressé par les nouvelles de CitéMédia diffusées par un petit poste de télévision.
« Bonjour, monsieur, est-ce que je peux vous aider? », dit-il avec tout l’entrain d’un message enregistré.
« Peut-être que vous pourriez m’informer, oui… Je suis à la recherche de cet homme… » Le gardien n’eut aucune réaction en voyant la photo qu’Édouard lui tendait.
« Est-ce que je vous ai pas déjà vu quelque part? », demanda-t-il en fixant Édouard.
Édouard lui fit son plus beau sourire en lui tendant la main. « Édouard Gauss, CitéMédia… 
— Ah! Je me disais bien, aussi…
— Écoutez… Charles », dit Édouard en lisant son nom brodé sur l’uniforme. « Je comprends que vous voulez préserver la vie privée de vos locataires; je sais très bien que cet homme est du nombre. Est-ce que je peux lui laisser un message? »
Le gardien haussa les épaules sans se compromettre. « Je veux que vous lui disiez que j’aurais voulu lui parler à propos de Laurent Hoshmand. Il va comprendre. »
Le gardien griffonna ce qu’Édouard lui avait dicté. « Est-ce que ce sera tout, M. Gauss? 
— Pour l’instant, oui », répondit-il, sachant qu’il ne faisait que commencer.
En sortant, Édouard adopta une démarche clownesque; devant la porte, il regarda à la ronde en faisant un clin d’œil et un signe de peace. Il ignorait si ses gesticulations avaient été vues ou remarquées; s’il était surveillé, il voulait que quiconque l’épiât comprenne qu’il en était parfaitement conscient.
Il entreprit ensuite de tapisser les environs d’affiches qu’il avait préparées. On pouvait y lire AVEZ-VOUS VU CET HOMME? et son numéro de téléphone au-dessus de la photo de l’homme-mystère.
La journée n’était pas particulièrement froide, mais après de longues minutes à agrafer ses affiches, les doigts d’Édouard étaient engourdis. Il se paya un café et s’adossa à sa voiture, toujours en vue de l’édifice. Il lui restait encore une idée à mettre en œuvre. À force de battre les buissons, il espérait que quelque chose se produise, que quelqu’un réagisse…
Son café refroidit avait qu’il ne le finisse. Il le jeta puis prit un porte-voix électronique dans le coffre de sa voiture.
« LAURENT HOSHMAND… J’APPELLE LAURENT…
— C’est assez, M. Gauss. »
Édouard sursauta. Il avait cru être seul, voilà que Laurent Hoshmand se trouvait juste derrière lui. « Vous devriez me laisser votre numéro, M. Hoshmand. Le téléphone reste plus pratique que le porte-voix! »
Hoshmand ne paraissait pas amusé du tout. Édouard prit le même air grave et dit : « Cette fois, je ne me contenterai pas de questions. Je veux des réponses! » 

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