Laurent
Hoshmand rentra chez lui en maugréant, enfin soustrait à la morsure de la
tempête. De jour en jour, il souffrait sans se plaindre des vastes pièces mal
isolées et traversées de courants d’air, mais aujourd’hui, l’intérieur semblait
presque tropical comparé au blizzard qui rageait toujours.
Loren
Polkinghorne lisait non loin de l’entrée. Il pouffa de rire en levant les yeux
pour apercevoir un Hoshmand ressemblant à un bonhomme de neige, blanchi par les
assauts de la poudrerie. Quelques centimètres de neige accumulée tenaient au
sommet de son chapeau dans un équilibre précaire. Ses oreilles avaient été soumises
à la furie des éléments; elles étaient rougies, comme tout le reste de la peau
qu’il avait exposée.
« Pays
de barbare… Pire que la Sibérie… »
Polkinghorne
l’aida à battre la neige sur ses vêtements, puis à enlever son manteau.
« Ça s’est bien passé?
— Oui.
— Tu as
trouvé son sanctuaire?
— Oui.
— Est-ce
qu’elle l’avait occulté?
— Un peu.
— Il n’était
certainement pas assez bien caché pour toi, n’est-ce pas? »
Hoshmand eut
pour toute réponse un sourire satisfait. Il dit ensuite : « Elle a
une chambre secrète.
— Vraiment? Elle
apparaît décidément plus avancée que nous étions en droit de le croire… À
moins que Gordon ne l’ait aidée… Ou encore… À moins que…
— Tu devines?
— …elle l’a
installée au milieu du Cercle de Harré?
— Oui!
— Eh bien!
Pas contente d’avoir la chance de pratiquer dans une ville radiesthésique, il
faut encore qu’elle s’installe sur la source… Si j’étais prêt à risquer le
contrecoup – et je ne suis certainement pas inconscient à ce point – même toi
ou moi pourrions créer une chambre secrète dans un Cercle. Mais j’y pense! Tu
as installé le dispositif?
— Oui.
— Dans le
Cercle? Ça n’est pas aussi risqué que se tailler l’espace d’une chambre, mais
as-tu pensé à ce qui aurait pu t’arriver?
— Je sais ce
que je fais », dit Hosmand sur le ton de celui qui pose le point final à
une discussion. Il passa à la pièce adjacente, là où il avait installé l’autre
partie de son dispositif. « Voyons voir… »
L’appartement
était presque vide, mais ce coin-là était encombré de plusieurs dizaines de
miroirs apparemment pêle-mêle, certains sur pied, d’autres vissés aux murs
autrement nus, certains intacts, plusieurs cassés. Pour Hoshmand et
Polkinghorne, l’ordre était manifeste derrière le chaos apparent. Rien n’était
fortuit dans leur disposition, dans la façon qu’ils avaient de se refléter les
uns sur les autres.
Hoshmand
passa son doigt sur une saillie d’un miroir brisé. Une goutte de sang perla de
la blessure superficielle en grossissant jusqu’à ce qu’elle tombe à la surface
du miroir. Hoshmand prit alors un pinceau et se servit du sang pour tracer un
seul symbole bouclé. « C’est prêt. »
En quelques
secondes, l’image renvoyée par les miroirs cessa d’être le reflet de
l’appartement. On pouvait voir Tricane assise sur un tabouret au milieu d’un
épouvantable fatras discuter avec un colosse à la jambe attelée. D’autres
morceaux de miroirs reflétaient les autres sections de sa maison – l’entrée, la
cour arrière…
Polkinghorne
était bouche bée. « Tu as percé la chambre secrète!
— J’étais
dans le Cercle…
— Quand
même!
— Je sais ce
que je fais », répéta-t-il en haussant les épaules. « Espinosa va
être moins facile. Et Gordon… »
Ils restèrent
pendant plusieurs minutes à observer la leçon de Tricane à Tobin en s’amusant
des réactions de ce dernier… Ses airs nonchalants et son exaspération visible
les portaient à croire qu’il n’était pas un très bon élève…
Soudainement,
Hoshmand et Polkinghorne tressaillirent en même temps que Tricane, à l’autre
bout de la ville.
Électrisé, Polkinghorne
demanda : « Tu as senti ça?
— Oui.
— Est-ce que
tu penses à ce que je pense…?
— Oui.
—…Un autre
des Seize vient d’arriver en ville…
— …Et il veut
qu’on le sache!
— Les choses sont
sur le point de devenir encore plus intéressantes! »
Entre autres
choses, cette présence pouvait signifier l’échange de faveurs… et de ces
secrets que tous les adeptes de leurs traditions convoitaient avidement. L’excitation
des deux hommes était presque palpable.
« Je
t’aime, Hoshmand.
— Je t’aime
aussi! »
Les deux
hommes s’embrassaient à pleine bouche lorsque leurs téléphones se mirent à
sonner presque simultanément. « Il va falloir y aller… », dit
Polkinghorne pendant que Hoshmand regardait tristement la tempête dehors.
« Pays
de merde… »
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