dimanche 3 octobre 2010

Le Noeud Gordien, épisode 140 : Punitions, 5e partie

« C’est tout? », demanda Félicia Lytvyn, interloquée.

Gianfranco Espinosa passa une paume de son front à sa nuque. Son visage avait pris une teinte rosée durant le récit; il suait légèrement.
« C’est tout.
— Et puis, c’est quoi le problème? Il t’a fait faire un vœu de chasteté?
— Non… Il m’a fait dire que j’étais prêt à tout. Je ne pouvais pas mentir : c’était vrai. À ce moment-là, je pensais que j’avais affaire au diable.
— Et tu étais prêt à vendre ton âme au diable?
— Je pensais que j’étais déjà damné… Si le diable m’avait choisi pour de grandes choses, comment aurais-je pu refuser?
— Alors, qu’est-ce qu’il a fait? Il a forcé ta chasteté avec sa statuette?
— Non… » Espinosa marqua une pause pendant qu’il cherchait laborieusement les bons mots.
Il pointa la poitrine de Félicia, beaucoup plus généreuse qu’avant son séjour en Europe « C’est Polkinghorne qui t’a montré comment faire? » Elle acquiesça. Qu’est-ce que son changement de silhouette venait faire là-dedans?
« Moi, je ne sais toujours pas comment faire. Avramopoulos a demandé comme faveur à Gordon, Hoshmand et Polkinghorne de ne jamais me l’enseigner…
— C’est quoi le rapport? »
« Excuse-moi, c’est très difficile… Je n’en ai encore jamais parlé… » Espinosa inspira profondément. « C’est Avramopoulos qui maîtrise le mieux tout ce qui a trait aux modifications corporelles…
— Oui, tu me l’as dit : c’est probablement comme ça qu’il a trouvé sa cure de jouvence.
— Eh bien, c’est comme ça qu’il s’est assuré que sa volonté soit respectée. » Espinosa jeta un coup d’œil furtif vers le bas.
Il fallut quelques secondes à Félicia pour qu’elle assemble les pièces du puzzle. « Il t’a… émasculé?
— Oui. Physiquement. » Son visage était passé du rosé au cramoisi.
Le souffle court, les tripes tordues, les émotions de Félicia se bousculèrent en tempête : tristesse, compassion, colère, dégoût. Puis les lettres écrites dans les épices qu’elle devait trier lui rappelèrent que la discussion n’était pas à propos d’Espinosa. Elle cracha : « Alors tu t’es dit que si tu n’avais pas de sexe, j’en aurais pas non plus? »
Espinosa tressaillit, comme s’il avait été frappé par un coup plutôt que des paroles. Un coup qui continuait à blesser, à en voir son visage crispé et ses lèvres pincées. « Lorsque tu m’as demandé que je t’aime, comme une faveur… J’avais fermé la porte depuis si longtemps…
— Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé? J’aurais compris! » Une petite voix lui soufflait que ça n’était pas exactement vrai, mais celle de l’indignation était plus forte. « Tu m’as volé mes désirs pour que je ne découvre pas que… que tu n’es même pas un vrai homme? Puis moi, la folle, je m’en vais t’aimer…
— Je t’aime aussi…
— …je t’aimais parce que je t’admirais, parce que je pensais qu’on pouvait se faire confiance… Mais toi, tu coupes mon désir, tu modifies mes pensées pour que je ne m’en rende pas compte… C’est ça l’amour pour toi?
Espinosa ne dit rien, son visage normalement impénétrable trahi par le rouge de la honte. Au bout d’un moment, le bouillonnement intérieur de Félicia se cristallisa en froide acrimonie.
« Fuck you », dit Félicia posément. « Tu me dois encore une faveur. »
Silence.
« Après ma cérémonie, je veux ma liberté. »
Après un long moment, Espinosa acquiesça. « Et après? Qu’est-ce que tu vas faire? 
— Je trouverai bien quelqu’un pour m’enseigner. » Félicia se leva et prit une poignée des épices qui jonchaient toujours la table. « Mais pour l’instant… je veux me sentir femme. » Elle sous-entendait manifestement J’ai besoin d’un vrai mâle, même si elle ne ressentait pas plus de désir que ces derniers mois.  Tourner le fer dans la plaie lui procura un plaisir mesquin.
Elle lança les épices au visage d’Espinosa avant de s’éloigner d’un pas décidé. Ils n’avaient plus rien à se dire. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire