Gianfranco
Espinosa passa une paume de son front à sa nuque. Son visage avait pris une
teinte rosée durant le récit; il suait légèrement.
« C’est
tout.
— Et puis,
c’est quoi le problème? Il t’a fait faire un vœu de chasteté?
— Non… Il m’a
fait dire que j’étais prêt à tout. Je ne pouvais pas mentir : c’était
vrai. À ce moment-là, je pensais que j’avais affaire au diable.
— Et tu étais
prêt à vendre ton âme au diable?
— Je pensais
que j’étais déjà damné… Si le diable m’avait choisi pour de grandes choses,
comment aurais-je pu refuser?
— Alors,
qu’est-ce qu’il a fait? Il a forcé ta chasteté avec sa statuette?
— Non… »
Espinosa marqua une pause pendant qu’il cherchait laborieusement les bons mots.
Il pointa la
poitrine de Félicia, beaucoup plus généreuse qu’avant son séjour en Europe
« C’est Polkinghorne qui t’a montré comment faire? » Elle acquiesça.
Qu’est-ce que son changement de silhouette venait faire là-dedans?
« Moi,
je ne sais toujours pas comment faire. Avramopoulos a demandé comme faveur à
Gordon, Hoshmand et Polkinghorne de ne jamais me l’enseigner…
— C’est quoi
le rapport? »
« Excuse-moi,
c’est très difficile… Je n’en ai encore jamais parlé… » Espinosa inspira
profondément. « C’est Avramopoulos qui maîtrise le mieux tout ce qui a
trait aux modifications corporelles…
— Oui, tu me
l’as dit : c’est probablement comme ça qu’il a trouvé sa cure de jouvence.
— Eh bien,
c’est comme ça qu’il s’est assuré que sa volonté soit respectée. »
Espinosa jeta un coup d’œil furtif vers le bas.
Il fallut
quelques secondes à Félicia pour qu’elle assemble les pièces du puzzle. « Il
t’a… émasculé?
— Oui. Physiquement. » Son visage était
passé du rosé au cramoisi.
Le souffle
court, les tripes tordues, les émotions de Félicia se bousculèrent en
tempête : tristesse, compassion, colère, dégoût. Puis les lettres écrites
dans les épices qu’elle devait trier lui rappelèrent que la discussion n’était
pas à propos d’Espinosa. Elle cracha : « Alors tu t’es dit que si tu
n’avais pas de sexe, j’en aurais pas non plus? »
Espinosa
tressaillit, comme s’il avait été frappé par un coup plutôt que des paroles. Un
coup qui continuait à blesser, à en voir son visage crispé et ses lèvres
pincées. « Lorsque tu m’as demandé que je t’aime, comme une faveur…
J’avais fermé la porte depuis si longtemps…
— Pourquoi ne
m’en as-tu pas parlé? J’aurais compris! » Une petite voix lui soufflait
que ça n’était pas exactement vrai, mais celle de l’indignation était plus
forte. « Tu m’as volé mes désirs pour que je ne découvre pas que… que tu n’es même pas un vrai homme? Puis
moi, la folle, je m’en vais t’aimer…
— Je t’aime
aussi…
— …je t’aimais parce que je t’admirais, parce
que je pensais qu’on pouvait se faire confiance… Mais toi, tu coupes mon désir,
tu modifies mes pensées pour que je ne m’en rende pas compte… C’est ça l’amour
pour toi?
Espinosa ne
dit rien, son visage normalement impénétrable trahi par le rouge de la honte.
Au bout d’un moment, le bouillonnement intérieur de Félicia se cristallisa en
froide acrimonie.
« Fuck you », dit Félicia posément.
« Tu me dois encore une faveur. »
Silence.
« Après
ma cérémonie, je veux ma liberté. »
Après un long
moment, Espinosa acquiesça. « Et après? Qu’est-ce que tu vas faire?
— Je
trouverai bien quelqu’un pour m’enseigner. » Félicia se leva et prit une
poignée des épices qui jonchaient toujours la table. « Mais pour
l’instant… je veux me sentir femme. » Elle sous-entendait manifestement J’ai besoin d’un vrai mâle, même si elle
ne ressentait pas plus de désir que ces derniers mois. Tourner le fer dans la plaie lui procura un
plaisir mesquin.
Elle lança
les épices au visage d’Espinosa avant de s’éloigner d’un pas décidé. Ils
n’avaient plus rien à se dire.
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