La journée
était belle; c'était la première depuis longtemps à passer au-dessus du point
de congélation. Après le dur hiver qui était tombé sur la ville, le contraste
faisait apparaître la journée presque chaude.
C’était
consternant de voir comment La Cité s’était dégradée au fil des ans. Des gardes
armés surveillaient le parc à partir d’une petite cabine chauffée. Il
n’entretenait toutefois pas d’illusions : sans les gardiens, le parc
aurait vite été investi par les drogués et les gangsters au même titre que les
autres espaces publics du Centre.
« Hey!
Claude! »
Avec
agacement, l’interpelé tourna la tête et vit le conseiller Vincent Therrien
s’approcher en trottant. Il avait croisé le conseiller au volant de sa voiture
juste avant d’arriver au parc; ça n’était pas une rencontre fortuite. Merde, pensa-t-il spontanément. Il se
voyait toujours comme un homme de terrain plutôt qu’un bureaucrate, malgré la
part importante de ses fonctions administratives. Il continuait de voir les
politiciens d’un œil méfiant. Comme tous ceux de sa race, sa priorité était
d’abord la pérennité de son poste; la lutte au crime ne l’intéressait probablement
que dans la mesure où elle servait leurs priorités.
Cela dit, le
tandem Martuccelli / Therrien n’avait rien à voir avec les horreurs qu’il avait
connues sous l’administration Lacenaire. Leurs décisions étaient peut-être
intéressées, mais au moins elles n’étaient pas motivées par le maintien de
cette culture de corruption et d’intimidation qui était devenue le sceau de
leur prédécesseur.
Une fois
rendu à sa hauteur, Therrien demanda : « Alors, comment avance le
dossier sur la guerre des gangs? »
Sutton haussa
les épaules. « À vous de le dire. Cette semaine, il y a eu une attaque au
fusil d’assaut. Au fusil d’assaut! Deux
morts, seize et dix-huit ans. Ça compte comme une avancée ou un recul, ça? »
Therrien ne sut
quoi répondre.
« Ah,
c’est vrai… C’était seulement dans le Centre-Sud : ça ne compte pas
vraiment. » Il regretta immédiatement ses paroles. Il n’aimait pas lorsqu’il
se laissait gagner par le cynisme, mais cela échappait à son contrôle.
Therrien
toussota. « Écoute, Claude, je vais te parler franchement. »
Claude l’encouragea
d’un mouvement.
« Je
sais que ça t’a fait chier de te retrouver chef aux enquêtes au Centre, à
travailler avec des supérieurs qui mangeaient dans la main de ceux que tu
voulais arrêter.
— Les
supérieurs ont été virés, mais je n’ai pas plus de moyens d’avancer »,
coupa Sutton.
« Laisse-moi
finir. La mairesse a pris connaissance de ton mémoire sur l’intervention contre
le crime organisé dans La Cité…
— Quoi? »
Il était
notoire que les études et recommandations à l’intention des instances prenaient
le plus souvent la voie du placard, un dernier voyage à sens unique. Que la
mairesse ait consulté une étude déposée avant sa nomination était une nouvelle
aussi surprenante que l’aurait été la découverte de la vie sur Mars. Sinon
plus.
« …et
elle voudrait mettre sur pied une unité spéciale d’enquête sur le crime
organisé.
—
C’est-à-dire? En visant Les Sons of a Gun?
Les gangs de rue? Les Ukrainiens? Le clan Fusco?
— Le mandat,
c’est le crime organisé; ce sera à toi de monter tes dossiers et de décider la
direction précise des enquêtes.
— À moi?
— La mairesse
veut que ce soit toi qui la diriges. Tu es peut-être le seul officier supérieur
expérimenté et avec un dossier impeccable.
La mairesse est d’accord avec l’esprit de ton mémoire et ta réputation
d’incorruptible fait qu’elle ne voudrait personne d’autre pour mettre tout ça
en branle.
— Et je
réponds… répondrais de qui, si
j’acceptais?
— Directement
du bureau de la mairesse; j’agirais à titre de liaison », répondit
Therrien en se grattant le nez.
« Je
vais devoir y penser », répondit Sutton.
« Come on, Claude. On sait tous les deux
que c’est exactement là où tu as toujours voulu être. Ne fais pas comme si
c’était une grosse décision. On se voit en début de semaine prochaine pour
fixer les détails, OK? »
Il lui donna
une tape sur l’épaule et s’éloigna. Therrien avait raison : Claude avait
déjà choisi. Les rouages de son esprit s’étaient déjà attelés aux possibilités
offertes par ce nouveau défi qui lui permettrait, peut-être, de finalement
avoir un impact à la mesure de ses ambitions.
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