dimanche 13 février 2011

Le Noeud Gordien, épisode 157 : Passe-partout, 1re partie

Mélanie Tremblay s’aspergea le visage d’eau froide avant de dire à son reflet dans le miroir : « C’est fini. Je suis faite. »
Elle reconnaissait à peine cette femme, aux yeux bouffis et au maquillage estompé. Durant des moments d’attente, elle s’était grattée compulsivement sans s’en rendre compte : la base de son cou et son front étaient rougis du passage répété de ses griffes. Le style chic et épuré de la salle d’eau semblait mettre encore plus en exergue le désastre de son visage. Elle n’avait jamais été si moche sur son lieu de travail. Au moins, personne ne pouvait la voir…
Lorsqu’elle s’était présentée au bureau pour découvrir l’origine de cette alerte dont la nature était cachée à ses subordonnés, elle s’était attendue à quelque chose de sérieux, mais qu’elle pourrait arranger promptement…
Avant qu’elle ne finisse de lire l’alerte décryptée, une sueur froide ruisselait déjà de sa nuque au creux de son dos. Elle avait immédiatement renvoyé tous les employés pour la soirée, même le personnel d’entretien : elle ne devait être dérangée sous aucun prétexte. Elle s’était mise à écrire, à téléphoner, à faire jouer ses sources et ses contacts de par le monde… Le soleil s’était levé sans qu’elle ne le remarque. Elle n’avait pas ralenti ses efforts depuis des heures mais tout son travail avait été vain.
Comme elle le craignait, elle n’avait pas pu défaire ce qui avait été fait. Toute cette situation la laissait dans une position impossible. À défaut d’intervenir sur la cause, elle devait maintenant considérer les conséquences… Et ses options. 
Tout son corps tendait vers la fuite, mais sa tête savait que cette pseudo-solution ne serait qu’un sursis. Si elle disparaissait soudainement au même moment où l’ex-clan Lytvyn perdait le contrôle sur ses millions engrangés, elle enverrait à tous le message qu’elle les avait empochés… Elle n’ignorait pas les moyens dont disposaient ses associés lorsqu’ils voulaient vraiment retrouver quelqu’un. Elle savait aussi qu’ils ne manqueraient pas de traquer quiconque s’avérait responsable d’une trahison à cette échelle…
Même si elle restait… Pourraient-ils croire qu’elle fût innocente? Pourraient-ils la croire sur parole? Elle imaginait qu’ils l’interrogeraient jusqu’à la briser pour en être certains. L’idée d’être à la merci de criminels de carrière, sans empathie ni compassion, n’était pas plus attirante.
Elle s’épongea le visage et jeta la serviette dans un panier. À la sortie de la salle d’eau, elle vit la ville qui s’éveillait en contrebas. Pour la première fois de sa vie, elle contempla l’idée de mettre fin à ses jours. Elle se trouvait à un carrefour où toutes les directions menaient à un cul-de-sac… Au moins ainsi pourrait-elle conserver le contrôle sur sa vie. Au moins ainsi pourrait-elle écourter la peur et la douleur en les réduisant à quelques instants à peine. Ensuite, plus personne ne pourrait lui faire de mal, la torturer, la violer, lui faire payer un geste qu’elle n’avait pas commis.
Elle écarta l’idée. Elle devait aller voir Jean Smith directement. Il avait connu Lev Lytvyn, il savait contre quoi elle se débattait. Elle avait sa confiance. Jouer franc jeu représentait sa seule chance de s’en sortir indemne. Ils étaient tous des victimes de cette situation, mais pourrait-elle le convaincre?
Il y avait encore la question de qui avait utilisé le passe-partout…
Plusieurs années plus tôt, Mélanie Tremblay avait fait valoir au Conseil Central comment son savoir-faire pouvait leur ouvrir des portes – à la fois en blanchissant une plus grande portion de leurs revenus et en faisant fructifier l’argent blanchi –. Elle avait eu à composer avec la méfiance chronique de M. Lytvyn qui accueillait avec perplexité l’idée de remettre pareils pouvoirs entre les mains d’une nouvelle venue dans la jeune vingtaine. En collaboration avec ses banquiers et à l’insu de Mélanie, il avait fait installer une série d’alertes et de sauvegardes qui le rendaient capable à la fois d’être averti de toute transaction louche mais aussi d’assurer un contrôle instantané et total sur la totalité de ses avoirs.
À l’époque, Mélanie avait été piquée par ce manque de confiance tout en reconnaissant que pareilles sommes justifiaient une bonne dose de prudence.
Les années avaient passé; le vieil homme en était venu à confier à Mélanie l’accès aux alertes de manière à lui permettre de réagir instantanément au besoin. C’est lui qui avait instauré cette notion d’alerte opaque – nul autre que Mélanie ne pouvait avoir accès à ces informations top secret. Mais il n’avait jamais été question de confier à quiconque le code passe-partout; elle était persuadée que M. Lytvyn l’avait emporté dans la tombe.
Qui donc avait pu en user hier soir afin de bloquer l’accès aux comptes? 

2 commentaires:

  1. Très bon chapitre! Encore beaucoup de mystères écrits avec talent! Je suis votre histoire depuis quelque temps déjà et je me décide enfin à vous laisser un bref commentaire : CONTINUER! Votre histoire est passionnante, merci de votre travail! Bonne continuation!

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  2. Merci pour le commentaire; il faut d'autant plus de bien à lire qu'ils sont rares! Dommage... faut surtout pas se gêner!

    P.

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