Elle reconnaissait à peine cette femme,
aux yeux bouffis et au maquillage estompé. Durant des moments d’attente, elle
s’était grattée compulsivement sans s’en rendre compte : la base de son
cou et son front étaient rougis du passage répété de ses griffes. Le style chic
et épuré de la salle d’eau semblait mettre encore plus en exergue le désastre
de son visage. Elle n’avait jamais été si moche sur son lieu de travail. Au
moins, personne ne pouvait la voir…
Lorsqu’elle s’était présentée au bureau
pour découvrir l’origine de cette alerte dont la nature était cachée à ses
subordonnés, elle s’était attendue à quelque chose de sérieux, mais qu’elle
pourrait arranger promptement…
Avant qu’elle ne finisse de lire l’alerte
décryptée, une sueur froide ruisselait déjà de sa nuque au creux de son dos.
Elle avait immédiatement renvoyé tous les employés pour la soirée, même le
personnel d’entretien : elle ne devait être dérangée sous aucun prétexte.
Elle s’était mise à écrire, à téléphoner, à faire jouer ses sources et ses
contacts de par le monde… Le soleil s’était levé sans qu’elle ne le remarque. Elle
n’avait pas ralenti ses efforts depuis des heures mais tout son travail avait
été vain.
Comme elle le craignait, elle n’avait pas
pu défaire ce qui avait été fait. Toute cette situation la laissait dans une
position impossible. À défaut d’intervenir sur la cause, elle devait maintenant
considérer les conséquences… Et ses options.
Tout son corps tendait vers la fuite, mais
sa tête savait que cette pseudo-solution ne serait qu’un sursis. Si elle
disparaissait soudainement au même moment où l’ex-clan Lytvyn perdait le
contrôle sur ses millions engrangés, elle enverrait à tous le message qu’elle
les avait empochés… Elle n’ignorait pas les moyens dont disposaient ses
associés lorsqu’ils voulaient vraiment retrouver quelqu’un. Elle savait aussi
qu’ils ne manqueraient pas de traquer quiconque s’avérait responsable d’une
trahison à cette échelle…
Même si elle restait… Pourraient-ils
croire qu’elle fût innocente? Pourraient-ils la croire sur parole? Elle
imaginait qu’ils l’interrogeraient jusqu’à la briser pour en être certains.
L’idée d’être à la merci de criminels de carrière, sans empathie ni compassion,
n’était pas plus attirante.
Elle s’épongea le visage et jeta la
serviette dans un panier. À la sortie de la salle d’eau, elle vit la ville qui
s’éveillait en contrebas. Pour la première fois de sa vie, elle contempla
l’idée de mettre fin à ses jours. Elle se trouvait à un carrefour où toutes les
directions menaient à un cul-de-sac… Au moins ainsi pourrait-elle conserver le
contrôle sur sa vie. Au moins ainsi pourrait-elle écourter la peur et la
douleur en les réduisant à quelques instants à peine. Ensuite, plus personne ne
pourrait lui faire de mal, la torturer, la violer, lui faire payer un geste
qu’elle n’avait pas commis.
Elle écarta l’idée. Elle devait aller voir
Jean Smith directement. Il avait connu Lev Lytvyn, il savait contre quoi elle
se débattait. Elle avait sa confiance. Jouer franc jeu représentait sa seule
chance de s’en sortir indemne. Ils étaient tous des victimes de cette
situation, mais pourrait-elle le convaincre?
Il y avait encore la question de qui avait
utilisé le passe-partout…
Plusieurs années plus tôt, Mélanie
Tremblay avait fait valoir au Conseil Central comment son savoir-faire pouvait
leur ouvrir des portes – à la fois en blanchissant une plus grande portion de
leurs revenus et en faisant fructifier l’argent blanchi –. Elle avait eu à
composer avec la méfiance chronique de M. Lytvyn qui accueillait avec
perplexité l’idée de remettre pareils pouvoirs entre les mains d’une nouvelle
venue dans la jeune vingtaine. En collaboration avec ses banquiers et à l’insu
de Mélanie, il avait fait installer une série d’alertes et de sauvegardes qui
le rendaient capable à la fois d’être averti de toute transaction louche mais
aussi d’assurer un contrôle instantané et total sur la totalité de ses avoirs.
À l’époque, Mélanie avait été piquée par
ce manque de confiance tout en reconnaissant que pareilles sommes justifiaient
une bonne dose de prudence.
Les années avaient passé; le vieil homme
en était venu à confier à Mélanie l’accès aux alertes de manière à lui
permettre de réagir instantanément au besoin. C’est lui qui avait instauré
cette notion d’alerte opaque – nul
autre que Mélanie ne pouvait avoir accès à ces informations top secret. Mais il
n’avait jamais été question de confier à quiconque le code passe-partout; elle
était persuadée que M. Lytvyn l’avait emporté dans la tombe.
Qui donc avait pu en user hier soir afin
de bloquer l’accès aux comptes?
Très bon chapitre! Encore beaucoup de mystères écrits avec talent! Je suis votre histoire depuis quelque temps déjà et je me décide enfin à vous laisser un bref commentaire : CONTINUER! Votre histoire est passionnante, merci de votre travail! Bonne continuation!
RépondreSupprimerMerci pour le commentaire; il faut d'autant plus de bien à lire qu'ils sont rares! Dommage... faut surtout pas se gêner!
RépondreSupprimerP.