dimanche 27 février 2011

Le Noeud Gordien, épisode 159: Surexcité, 1re partie

Édouard n’arrivait toujours pas à déterminer si sa rencontre avec Aleksi Korhonen avait été un succès ou un échec. Il lui faudrait attendre encore avant de le savoir, mais l’attente s’avérait d’autant plus pénible qu’il ignorait combien de temps elle durerait.
Faute d’avoir sa réponse, il pouvait à tout le moins continuer à se poser la question, à revenir encore et encore sur les détails de leur dernier échange.
De grands pans de l’enregistrement demeuraient inaudibles, les mots échangés noyés par le brouhaha du club. Édouard avait passé l’essentiel de sa journée à identifier et extraire les morceaux intelligibles en transcrivant au meilleur de son souvenir les parties manquantes.
Il était presque certain qu’il avait su impressionner Aleksi, particulièrement au moment où il avait lancé la devise… Ses recherches lui avaient fait découvrir un Eleftherios Avramopoulos dans l’entourage du roi Georges 1er de Grèce; la stupéfaction d’Aleksi laissait croire qu’il existait effectivement un lien avec celui dont il avait emprunté le nom. C’était évidemment impossible qu’il s’agisse du même homme, mais d’autres facteurs pouvaient expliquer ce lien – admiration, identification, filiation générationnelle, émulation, quoi d’autre encore? Ça n’était qu’une pièce de plus dans le puzzle que représentait Aleksi Korhonen. Mais l’objectif avait été atteint : Aleksi croyait qu’Édouard disposait de plus d’informations que ce qu’il savait réellement. Est-ce que ce serait suffisant? Son « à bientôt » final laissait augurer qu’ils se reverraient… Dans quelles circonstances, dans quelles intentions? Rien dans ses enregistrements ne lui permettait de le  prédire.
Préoccupé par son questionnement, Édouard ne porta pas attention à la fébrilité diffuse qui s’installa en lui lorsque le soleil toucha l’horizon. Alors qu’il fouillait ses souvenirs de la soirée, certains éléments s’imposèrent à sa conscience… Le sourire de la belle rousse assise à la table voisine… Ce groupe de jeunes filles qui dansaient en cercle non loin, leurs vêtements collant à leurs courbes, frémissant au rythme de leurs mouvements… Ces couples qui dansaient en se caressant, en se frottant comme s’ils voulaient entrer l’un dans l’autre…
Édouard avait baigné toute la soirée dans cet univers de sueur et de séduction sans y porter attention. Maintenant, c’était comme s’il ne pouvait plus penser à autre chose.  
Il avait l’habitude d’écouter son intuition lorsqu’elle lui signalait des pistes, même lorsqu’elles apparaissaient insignifiantes. Il se mit donc à chercher des informations sur les boîtes de nuit de La Cité, puis des vidéos de pistes de danse. De clics en clics, il dériva vers des liens qui suggéraient des vidéos de plage, de spring break et de bikinis… L’état diffus qu’il avait ressenti sans le remarquer prit la forme d’une excitation inhabituelle, mais bien réelle. Il s’avança sur sa chaise et se mit à cliquer frénétiquement.
Quarante minutes plus tard, Édouard avait toujours une main sur sa souris, mais l’autre s’activait sous son pantalon. Sur son écran, trois scènes pornographiques hardcore jouaient dans autant de fenêtres. Il les regardait sans cligner des yeux, presque en état second. Toute pensée rationnelle avait été écrasée par la puissance de cette excitation grisante. Le monde s’était effacé derrière des images de lèvres entrouvertes, de peaux luisantes de sueur, de pénétrations rythmiques… Le temps, l’espace, ses questions, ses doutes, son identité même fondirent en une éternité saturée d’érotisme et de désir impérieux.
Un éclair de plaisir et d’extase cathartique fit tout éclater.
L’orgasme lui redonna une mesure de conscience. Tout son corps tremblait alors qu’il constatait avec affolement qu’il venait de faire tout un dégât.
« Qu’est-ce qui se passe avec moi? »
Il n’avait jamais été friand de pornographie – il avait même déjà piloté un reportage montrant l’exploitation commerciale de jeunes immigrantes et les conditions sordides dans lesquelles les boîtes de production œuvraient souvent… Or, son écran affichait deux jeunes blondes qui s’embrassaient farouchement, les mains entre les cuisses; une autre fenêtre montrait une brunette pénétrée de tous les côtés par trois hommes au sexe gigantesque. Une troisième ne présentait que le rectangle noir d’une scène arrivée à sa conclusion. Édouard n’aurait même pas pu dire ce qu’il y avait vu quelques minutes à peine auparavant.
Difficile de croire qu’il ait pu se lancer dans pareille dérape… Alors qu’il tentait de comprendre quelle mouche l’avait piqué, la fenêtre aux blondes attira son regard à nouveau. Les détails de son environnement s’estompèrent; son sexe durcit comme s’il n’avait pas joui quelques minutes auparavant. Le souffle d’Édouard s’accéléra lorsqu’un homme vint rejoindre les deux filles…
Il ferma son écran d’un geste brusque. Il avait failli recommencer son manège sans même le réaliser. « Mais qu’est-ce qui m’arrive? » La chaleur le traversait par bouffées et la sueur coulait à grosse gouttes sous ses aisselles. Il se déshabilla à toute vitesse et plongea dans une douche froide qui ne fit rien pour diminuer son érection. À tout le moins, l’eau glacée et l’absence de stimulation lui permirent de réfléchir avec un brin de cohérence…
L’état dans lequel il se trouvait présentement n’avait aucune commune mesure avec quoi que ce soit qu’il eût connu à ce jour. L’avait-on drogué? Il ne connaissait aucun aphrodisiaque capable de produire un effet si puissant… L’expression fou de désir ne lui avait jamais paru aussi littéralement juste.
Peu importe la cause, il devait absolument créer une diversion contre ses propres envies, sans quoi il retomberait sous peu dans le même genre de bassesses qu’il avait réussi à éviter de justesse… Il s’épongea et s’habilla en vitesse. Une marche dans la fraîcheur printanière lui changerait probablement les idées.
Il enfila son manteau et courut presque vers la dixième avenue au-delà de sa porte. 

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