dimanche 6 novembre 2011

Le Noeud Gordien, épisode 195 : Vendredi, 2e partie

« Y’a un gars qui harcèle les filles sur la piste de danse », aboya Mike aux oreilles d’un gigantesque videur en pointant Katzko.
« Moi, j’ai rien vu », répondit-il sur le même ton en haussant les épaules.
Les billets que Mike glissa dans la main du grand gaillard captèrent son intérêt. « Qui?
— Le gars avec les lunettes, là.
— Il était barré, lui! » Il signala à un collègue de l’autre côté de la piste de danse et en moins de deux, ils convergeaient vers lui comme des piranhas sur un steak.
Mike se réjouissait déjà du spectacle : les videurs en cours d’éviction tendaient à répondre avec une violence égale à la force de l’opposition qu’ils rencontraient. Il suffisait que Katzko résiste pour…
Mais non : il se laissa diriger – presque transporter – jusqu’à la sortie sans faire d’histoire, sans même perdre son sourire d’ivrogne, les gars juste derrière lui.
Il fit quelques pas sur le trottoir en fouillant dans ses poches. N’y trouvant rien, il arrêta un passant, puis un autre en leur demandant d’une voix traînante : « Heille, t’as pas une cigarette? »
Mike s’approcha de Katzko en s’efforçant de rester dans un angle mort. « Hey man, tu veux une cigarette? 
— C’est clair que je… ». Le poing de Mike le coupa abruptement.. L’impact le fit reculer de deux pas. Une branche de ses montures était toute tordue. Il toucha sa lèvre; du sang s’en écoulait. « C’est quoi ton ostie de problème?
— C’est toi notre problème », dit Djo en déployant toute la richesse de son sens de la répartie.
« Vous savez pas qui je suis », dit Katzko.
En massant ses jointures, Mike dit : « On l’sait t’es qui. Toi, sais-tu? » Les badauds s’approchaient déjà, curieux de la suite de l’altercation.
Katzko lorgna les trois un après l’autre à travers ses lunettes. Soudainement, il fit volte-face et prit ses jambes à son cou.
Les gars ne s’étaient pas attendus à ce que Katzko se dérobe ainsi, mais la surprise les retarda d’à peine quelques secondes. Comme leur proie était saoule et encore sonnée, son avance se rétrécit à chaque enjambée… Mais Katzko empoigna une fille et la poussa sur leur chemin de ses poursuivants. Elle portait des talons d’échassier; elle ne put se maintenir debout lorsque Rem la percuta. Elle l’emporta dans sa chute; les deux roulèrent sur le trottoir.
Katzko bifurqua pour traverser la rue. Il réussit à se faufiler entre les voitures dans un tonnerre de klaxons. Laissant Rem derrière, Djo et Mike firent de même avant que celles qui avaient freiné ne se remettent en mouvement. L’aplomb – l’ivresse? – de Katzko lui avait fait gagner une certaine avance.
Mike levait des poids mais dédaignait l’entraînement cardio; la course avait déjà tiré tout son jus. Heureusement, Djo, lui, ne ralentissait pas.
Katzko vira à 90 degrés pour s’élancer dans une ruelle. On le tient, se dit Mike. Les allées du Centre étaient clôturées pour la plupart...
Djo disparut à son tour au coin. Avant que Mike n’y soit, un fracas jaillit de la ruelle.
Mike tourna le coin pour découvrir Djo gisant en petit bonhomme, les mains sur la tête pour se protéger des coups. Katzko avait trouvé une barre de métal dans les détritus qui obstruaient le sol. Malheureusement, dans la pénombre, Mike ne vit rien qui pourrait l’armer pareillement.
Cette barre de fer changeait tout. Les prédateurs devenaient proies. Katzko se désintéressa de Djo, hors d’état de nuire, pour se tourner vers Mike avec une expression menaçante. « T’es qui, déjà? », demanda-t-il en frappant sa paume avec son arme improvisée.
Mike ne pouvait pas attaquer, mais il ne pouvait pas fuir non plus en laissant Djo à la merci de ce maniaque…
Rem arriva finalement, le visage rouge, le souffle court. Dès qu’il vit la scène, il se mit en garde.
Rem avait été champion de Tae Kwon Do durant l’adolescence; même s’il ne compétitionnait plus depuis quelques années, il n’avait jamais cessé l’entraînement. La posture confiante de Rem ne fit hésiter Katzko qu’un instant : il se lança en avant en fendant l’air.
Rem recula pour laisser passer le mouvement. Lorsque Katzko arriva au bout de son élan, Rem saisit l’ouverture. Il lui décrocha un coup de pied vrillé au niveau de la nuque. Malgré l’impact, Kazko ramena vigoureusement la barre sur le tibia de Rem qui laissa échapper un cri de surprise avant de reculer en titubant.
Katzko cessa de fendre l’air pour plutôt interposer son arme et tenir ses attaquants à distance. Il les contourna prudemment sans jamais les quitter des yeux – lorsqu’il passa à proximité de Djo, il se permit de lui décrocher un coup de pied sec. Il disparut au détour de l’avenue au pas de course, sans lâcher sa barre.
Djo râlait, toujours recroquevillé sur le sol maculé. Ses mains et son visage étaient couverts de sang. « Djo? Hey Djo, est-ce que ça va? »
— Checke là », dit Rem en pointant. « Christ, il a le crâne ouvert. Qu’est-ce qu’on fait?
— On n’a pas le choix. On appelle une ambulance. »
Le regard de Rem oscillait sans cesse entre Djo et la direction que l’autre avait pris.
«  Qu’est-ce que t’attends? Appelle l’ambulance! 
— Pis l’autre cave? 
— On l’aura ben un autre moment donné », dit Mike d’une voix qu’il espérait confiante.
Il n’avait jamais compris pourquoi Karl n’avait pas fait disparaître son ennemi…
Il commençait à soupçonner que ça n’était pas faute d’avoir essayé. 

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