« Pour commencer », dit
Gordon avant que quiconque se lance en remontrances, « nous devrions
éclaircir les circonstances qui ont conduit Hoshmand à perdre ses capacités. »
Avramopoulos prit la parole.
« Nous avions appris que Tricane pratiquait ouvertement des divinations et
des guérisons… » Il avait craché le nom en grimaçant, comme si Tricane avait été une insulte ou un
blasphème. « Il est de mon avis que ça n’était pas à moi de la
discipliner, mais la préservation de nos secrets est plus importante que des
enjeux de juridictions. »
Gordon savait bien qu’Avramopoulos
n’avait pas agi par grandeur d’âme. Il se souciait réellement des secrets, mais
le fait qu’il n’ait pas contacté Gordon d’entrée de jeu laissait supposer un
motif ultérieur, le plus plausible étant à la fois simple et mesquin :
humilier Gordon en le confrontant au fait accompli. Leur relation centenaire
rendait Avramopoulos transparent à bien des égards.
Il devait néanmoins répondre à
l’accusation implicite. « La panoplie de Tricane est complète. Elle a même
racheté la dernière faveur qu’elle me devait. Elle n’est ni plus ni moins sous
mon autorité que quiconque ici présent. »
Avramopoulos fit un mouvement, comme
si les explications de Gordon étaient une mouche qu’il balayait de la main.
« Si quelqu’un est en faute, c’est bien Tricane elle-même »,
intervint Mandeville. « Concentrons-nous sur les événements qui nous
échappent encore. »
Gordon acquiesça. « Donc, vous
avez appris que Tricane pratiquait publiquement. Qu’avez-vous fait? »
Avramopoulos fit un signe à Polkinghorne.
Il reprit le récit en commençant par le moment où Avramopoulos, Hoshmand et
lui-même étaient arrivés au Terminus où Tricane commettait ses offenses. Il
décrivit avec moult précisions comment elle avait éconduit ses fidèles pour
rendre possible ce face-à-face que les trois présumaient à son désavantage;
comment la terre avait tremblé lorsqu’elle s’était levée
(« vraiment? », avant demandé Mandeville, sur le ton normalement
réservé aux histoires de pêches extravagantes); comment son poing s’était nimbé
d’une lueur qui avait ensuite foudroyé Hoshmand et confondu Avramopoulos. Il
conclut son récit en formulant la question que tout le monde se posait :
« Qu’a-t-elle fait exactement?
— Une chose est sûre, pour le
tremblement de terre, la seule piste plausible est l’illusion », dit
Mandeville. « Je ne peux pas imaginer comment une telle chose serait
possible, même avec dix ans de préparation. »
Lytvyn dit : « Si ça s’est
passé dans le Cercle de Harré, l’effet pourrait…
— Non », insista Mandeville.
« La zone radiesthésique amplifie, mais rend les effets incontrôlables.
—Elle a une chambre secrète dans le
Cercle », dit Hoshmand.
Polkinghorne compléta :
« Ce genre de procédure serait en principe bien au-delà des capacités
d’une praticienne avec une ancienneté comparable à celle de Tricane. Nous
avions présumé que Gordon lui avait prêté main forte, mais nous avions
également considéré l’hypothèse qu’elle ait risqué le contrecoup du Cercle et
qu’elle ait réussi par elle-même, contre toute attente.
—L’as-tu aidée? », demanda
Mandeville. Gordon fit non de la tête. « Hermann Schachter lui-même n’est
pas parvenu à contrôler l’énergie du Cercle. C’est im-po-ssible!
—On dirait que l’impossible arrive
de plus en plus fréquemment ces temps-ci » dit Lytvyn, pendant que la
prophétie de Harré réverbéraient dans la tête de Gordon : deux fois
l’impossible, une fois l’impensable.
« J'ai une théorie », dit Hoshmand,
et tous se tournèrent vers lui. Gordon la connaissait déjà; le temps était
venu de la partager avec les autres. « Il est faux de dire que personne ne peut
user des Cercles.
— Harré », dit Lytvyn
« Harré », approuva Hoshmand. «
Polkinghorne n'a pas mentionné que les cheveux de Tricane étaient décolorés.
Comme ceux de Harré, juste avant qu'il ne commence sa purge. »
Le changement couleur des cheveux de
Tricane n'était qu'une anecdote en elle-même. Ajoutée aux effets inexplicables
qu'elle avait produits, l'hypothèse de Hoshmand devenait assez plausible pour
que tous la considèrent.
Les yeux écarquillés, Mandeville
dit: « Bon sang! Harré voulait tuer les maîtres... Et si le meurtre de Kuhn
n'était pas qu'une affaire de revanche? Et si c'était le début d'une nouvelle
purge? » Elle porta la main à sa bouche, surprise de ses conclusions. «
A-t-elle tué Paicheler?
— Je peine à croire qu’elle ait tué
Kuhn », dit Gordon, « quoique je reconnaisse qu’elle est la seule
suspecte. À la rigueur, je conçois qu’elle aurait pu vouloir se venger de Kuhn,
mais Paicheler?
— C’est pourtant tout simple »,
dit Avramopoulos. « Elle est folle. Nous perdons notre temps à essayer de
lui trouver des excuses, mais elle est probablement responsable de tout ce qui
nous préoccupe. Comme nous ignorons ce qui s’est passé le soir où l’hôtel s’est
effondré… »
Espinosa toussota ostensiblement.
« Tu as quelque chose à
dire? », demanda sèchement Avramopoulos. En guise de réponse, Espinosa pointa
Lytvyn.
Avec une expression satisfaite, voire
suffisante, Lytvyn dit : « Nous ne sommes pas complètement ignorants
de ce qui s’est produit au Hilltown. » Elle marqua une pause dramatique
avant d’ajouter : « Nous étions au quarante-deuxième pendant
l’incendie. »
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