— Ça m’est égal », répondit
Latour en croisant les bras.
« Mais pourquoi? »
Il haussa les épaules. « C’est
ma prérogative. J’ignore qui vous êtes; vos alliés sont probablement mes
ennemis, à tout le moins mes rivaux, ce qui fait de vous mon ennemie ou ma
rivale.
— C’est ridicule! Pourquoi serais-je
votre rivale si nous ne nous connaissons pas?
— Il n’y a aucun doute : je ne
vous connais pas. Mais l’inverse n’est pas nécessairement vrai. »
Félicia échappa un soupir.
« Qu’est-ce que je dois faire? Retourner à La Cité et revenir avec des
lettres de référence? »
Le regard de Latour s’illumina.
« Vous êtes de La Cité?
— Oui. C’est là que j’ai
grandi.
— Comment va la Joute? »
Flûte. Elle avait espéré que son
intérêt soit à propos de la ville elle-même – Félicia aurait pu lui en parler
longtemps. Au chapitre de la Joute, elle ne savait en revanche presque rien – même
des choses aussi élémentaires que les règles ou les enjeux des engagements lui
apparaissaient toujours flous. Et personne, pas même Polkinghorne, ne voulait
répondre à ses questions.
Elle offrit néanmoins le peu qu’elle
savait. « Gordon et Avramopoulos ont joué les derniers tours avec un seul
lieutenant…
— Vraiment! Et pourquoi donc?
— L’un d’eux manquait à l’appel.
Puis les choses sont devenues un peu plus compliquées…
— Comment donc? »
Félicia lui fit un sourire sirupeux.
« Je suis réticente à vous en parler… Vous êtes peut-être un rival, un
ennemi… »
Latour soupira à son tour. « Qui
s’occupe de votre enseignement?
— Loren Polkinghorne.
— C’est sur sa recommandation que
Kuhn vous a reçue.
— Oui, en gros. » Dans les
faits, c’était lui qui avait demandé à
la voir.
— Vous pourriez faire pire. M.
Polkinghorne est un praticien talentueux. Je suis surpris que M.
Avramopoulos ait accepté…
— Accepté, c’est vite dit… En fait,
il préfère n’avoir rien à voir avec moi. Je ne serais pas surprise d’apprendre
que Polkinghorne lui ait offert une faveur simplement pour me prendre sous son
aile. Vous savez… » Elle fit un geste qui soulignait l’évidence : je suis une femme. Puis une expression
qui ajoutait : on ne pourrait pas
discuter en-dedans?
« J’imagine qu’il n’est pas
trop risqué de faire entrer une jeune initiée…
— Ah non! Je suis une adepte
confirmée! » Ça n’est qu’une fois les paroles lancées qu’elle comprit
qu’elle venait de se tirer dans le pied. Tu
l’avais, espèce de tarte!
« Une adepte? À votre âge?
— J’ai reçu mon bâton cet été, de
Kuhn lui-même. » Trop tard pour reculer, autant foncer.
« Deux faveurs pour une
trêve », dit Latour.
« Vraiment? C’est pas un peu
exagéré? »
Latour haussa les épaules.
« Pour deux faveurs, je veux un
libre accès au bunker.
— Hé! Oh! Un instant! Ça n’est pas
deux faveurs contre une faveur et une trêve!
— Visiter un sous-sol n’est pas
exactement une grosse faveur… Non? »
Latour réfléchit un instant.
« Libre accès, à condition que je sois dans la maison au moment de votre
visite.
— Marché conclu! » Il serra la
main qu’elle lui tendit.
« On peut entrer,
maintenant? »
Latour s’écarta pour la laisser
passer.
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