dimanche 9 mars 2014

Le Noeud Gordien, épisode 310 : Dans le trou, 2e partie

« Heu, Aizalyasni? Est-ce que ça va? »
Elle sursauta. Elle était tant tournée vers ses pensées qu’elle n’avait pas entendu Timothée revenir du côté du trou. « Ça va », répondit-elle avec un sourire forcé. Elle avait mal à la tête.
« Ça te va bien, ton nouveau look », dit-il en allant s’asseoir à côté d’elle, les pieds dans le vide. Elle lui jeta un regard perplexe. Elle avait mal à la tête et nulle envie de jouer aux devinettes.
Il pointa la longue mèche blanche qui était apparue au milieu de ses cheveux noirs. « Heureusement que ça n’est pas apparu au milieu de ta tête. Tu aurais eu l’air d’une mouffette. »
Le commentaire n’avait rien de drôle, mais elle tenta de lui sourire. « Blague à part », continua Timothée, « mes cheveux à moi ont blanchi un à un depuis que j’ai fait apparaître l’étincelle entre mes mains.… Qu’est-ce que tu as fait, pour que toute une mèche change d’un coup?
— Je ne veux pas en parler », trancha-t-elle. L’évocation des événements de la veille suffit à la faire frissonner de dégoût. Elle était habituée d’offrir les contacts physiques les plus intimes à ses clients, mais son coup d’œil dans le jardin secret des trois hommes l’avait exposée à une promiscuité qui la troublait beaucoup plus.
« Est-ce que c’était les mêmes que l’autre soir, sur la grande place? »
Elle resta un moment sans rien dire. Voyant que Timothée attendait toujours une réponse, elle acquiesça d’un mouvement.
« Est-ce qu’on devrait s’inquiéter qu’ils rappliquent?
— Je ne pense pas », dit Aizalyasni. Timothée l’interrogea du regard, mais elle n’ajouta rien.
Elle n’était pas certaine de ce qu’elle leur avait fait, ou comment elle s’y était prise, mais elle les avait… éteints. Étaient-ils encore en train de végéter dans la voiture, du côté du port? Étaient-ils morts de froid? Elle espérait que non. Elle l’avait vu : leur mort pouvait éclabousser maintes vies innocentes…
Elle avait agi sous l’impulsion d’une parfaite clarté, une compréhension profonde d’elle-même et de sa place dans le monde… Alors qu’elle était habitée par la magie du Centre-Sud, ses pensées se bousculaient dans sa tête… Ni vert, ni orange. Le blanc est la voie. En lumière ou en gouache? Madame me le dira. L’idée lui avait paru fameuse, d’une pertinence parfaite… Mais lorsqu’elle était arrivée au Terminus, haletante, elle n’avait pas réussi à la communiquer à personne, pas plus que les autres pensées qui déferlaient dans sa tête.
Lorsque Martin lui avait fait boire la même infusion qui l’avait guérie auparavant, ses pensées s’étaient non seulement tues : elles avaient perdu leur sens. Les mots demeuraient les mêmes, mais ils étaient devenus banals, absurdes… Comment comprendre ce brusque changement?
Il ne lui restait qu’une certitude : Madame avait les réponses. Et Madame avait besoin d’aide.
« Je descends dans le trou. » Sa déclaration soudaine fit sursauter Timothée à son tour – leur dernier échange remontait à plusieurs minutes déjà.
« Mike a dit d’attendre qu’il revienne…
— Mike ne comprends pas ce qui se passe.
— Ah oui? Tu comprends, toi? Explique-moi… »
Il n’avait pas tort. Était-ce pour autant une raison de rester assis toute la journée sans rien faire? « Tu vas m’aider, oui ou non?
— Demande à Martin, alors…»
« Martin anime une réunion de Dépendants Anonymes… Il ne reviendra pas avant la fin de l’après-midi. »
Timothée eut l’air de se débattre contre lui-même. « Je vais aller avertir Djo, au moins. » Il se leva.
« L’avertir de quoi?
— Que nous descendons tous les deux. »
Aizalyasni n’en avait pas tant espéré.

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