dimanche 23 mars 2014

Le Noeud Gordien, épisode 312 : Dans le trou, 4e partie

Le corridor s’avérait beaucoup plus long que tout ce qu’ils avaient pu imaginer.
Les murs coquille d’œuf et les dalles, toujours pareilles dans leur irrégularité, n’offraient guère de repères pour mesurer la distance parcourue. Chose certaine, le corridor se déroulait bien au-delà des fondations du Terminus.
« D’où vient la lumière? », demanda Timothée. Aizalyasni n’avait pas remarqué que l’éclairage ne provenait pas de quelque source visible; elle se contenta de hausser les épaules.
À chaque douzaine de pas, Timothée se tournait vers elle pour l’interroger du regard. Elle faisait comme si elle ne le voyait pas, le regard perdu au loin. Elle craignait qu’il l’interroge davantage, qu’il souligne encore, par ses questions, à quel point tout cela la dépassait.
« Je gagerais qu’on est plus loin que la grande place », dit Timothée. Aizalyasni grimaça. « Qu’est-ce qui se passe? »
« Rien, rien.
— Ce n’est certainement pas rien qui t’a fait faire cette face-là!
— Qu’est-ce qu’elle a, ma face?
— C’est juste une expression! Laisse tomber! » Tim expira bruyamment avant d’accélérer le pas.
« Attends! » Il lui fallut trotter pour garder la cadence. Il lui jeta un regard de biais lorsqu’il la rattrapa; elle lui répondit en souriant. Elle se sentait maladroite. « C’est juste que… Hier, je pouvais faire de la magie, j’avais l’impression que rien n’était impossible. Mais maintenant, je ne sais pas, mais vraiment pas comment je m’y suis prise. Je me sens comme si j’avais fait le plus beau rêve de toute ma vie, mais que j’ai maintenant tout oublié…
— Je comprends », dit Tim d’un ton plus sec que compatissant. Pouvait-il comprendre?
« J’ai senti l’esprit de Madame, hier. 
— Hein?
— Lorsque j’étais au port. Elle était si confuse…
— Tu es certaine que c’était elle?
— Sûre et certaine. C’est bien ce qui m’inquiète… Regarde! »
Aizalyasni venait d’apercevoir une intersection quelques mètres plus loin, la première exception au tracé rectiligne du couloir. Une légère brise soufflait de gauche à droite.
« Qu’est-ce qu’on fait? », demanda Aizalyasni.
« Par là », répondit Timothée avec autorité en pointant vers la droite. Aizalyasni dessina une nouvelle flèche avec son doigt. Un autre carrefour se trouvait à quelques dizaines de mètres du premier. « Cette fois, on continue tout droit », décida Timothée. Une fois de plus, Aizalyasni marqua le mur. La première flèche avait eu pour but d’aiguillonner les gens susceptible de descendre après eux; si les intersections continuaient à se multiplier, elles pourraient leur servir de fil d’Ariane.
Ils marchèrent une minute ou deux pendant lesquelles la brise se transforma en vent de plus en plus puissant. Le souffle n’était pas froid, mais Aizalyasni referma tout de même son manteau.
Plus loin, le couloir semblait s’obscurcir d’un coup; en approchant la zone de transition, ils notèrent que les murs blancs et la voie dallée cédaient la place à la pierre grossièrement taillée. Aizalyasni en toucha la surface; celle-ci ne céda pas d’un iota. L’éclairage aux sources invisibles ne portait pas jusqu’à la grotte.
« Qu’est-ce qu’on fait? », demanda Timothée à son tour.
« C’est peut-être une sortie. Mais c’est noir… On ne voit rien.
— Reste ici. Je vais aller voir. »
Timothée s’avança quelques pas dans l’obscurité. Il disparut au détour d’un coude qu’elle n’avait pas discerné.
Une fois seule, Aizalyasni en profita pour respirer profondément, retraçant avec son esprit les gestes de l’oraison – ceux dédiés au grand groupe des fidèles. L’énergie du Centre-Sud lui paraissait lointaine… Était-ce parce qu’elle se trouvait sous terre?
 Timothée revint en courant, les yeux ronds comme des soucoupes. Il avait l’air tout ébaubi. « Faut que tu voies ça. 
— Quoi? » Sans répondre, il lui prit la main et la tira plus loin dans la grotte venteuse.
Au-delà du coude, les ténèbres étaient éclairées d’un ovale indigo. En s’approchant davantage, elle réalisa que c’était un bout de ciel. Comme elle l’avait pressenti, la grotte débouchait à l’extérieur. L’insistance de Timothée ne diminua pas jusqu’à ce qu’ils soient tous les deux sortis. Aizalyasni sentit une pluie légère sur son visage.
Ils se retrouvèrent dans un boisé, chose étrange compte tenu qu’aucun parc de ce genre n’existait dans les environs du Terminus. La véritable étrangeté, toutefois, était l’absence de toute trace d’hiver. Les arbres étaient feuillus, les fougères toutes vertes… 
 « Regarde! », dit-il en pointant le ciel. Quelques plaques de ciel étoilé demeuraient visibles à travers de gros nuages noirs.
Aizalyasni eut besoin d’un moment pour comprendre ce qu’il voulait qu’elle remarque, pendant lequel la pluie s’accentua.
« Mais où sommes-nous? », s’exclama-t-elle en comprenant que le ciel n’était plus illuminé que par la pénombre du crépuscule – ils s’étaient aventurés dans le souterrain quelques minutes auparavant, en début d’après-midi.
Aizalyasni fut prise d’un vertige; Timothée, pour sa part, semblait à mi-chemin entre le rire et les larmes.
« Janvier d’abord », s'exclama-t-il. « La pluie ensuite! »

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