Édouard s’était laissé
savonner sans trop de tonus. C’était dommage qu’il ne lui ait pas mentionné son
état… Elle aurait pu lui préparer quelque chose pour le requinquer, mais sans
son matériel ils allaient devoir se rabattre sur les pharmacies locales.
Il était encore un peu
chancelant lorsqu’ils s’étaient rendus au restaurant… Elle craignait le pire au
moment de commander, mais les premières bouchées redonnèrent à Édouard un fond
d’énergie dont il avait bien besoin. On dit que l’appétit vient en mangeant; ce
n’est jamais aussi vrai qu’au moment où l’anorexie induite par la nausée
s’efface pour laisser place au retour en santé. Il dévora son repas en
ralentissant seulement pour raconter à Félicia les détails de son aventure
qu’il avait dû omettre au téléphone… Le symbole au grenier, le marché avec
Hill… Et le réveil brutal au milieu des immondices.
« Il faut que tu
me montres là où tu as repris connaissance.
— Maintenant? Là, là?
— Pourquoi pas? Tu as
l’air en forme… » Il avait hésité avant d’acquiescer.
Ils se rendirent au
quartier Berisso en taxi. Les rues du quartier étaient numérotées, comme dans
La Cité; en moins de deux, ils se trouvèrent sur la route de terre battue qu’il
avait suivis jusqu’à la ville. Ils marchèrent un moment, Édouard demeurant à
l’affût du lieu précis où il avait rejoint le chemin. C’était difficile :
le paysage n’offrait pas vraiment de points de repères permettant de
différencier un bosquet d’un autre. « C’est ici, je crois », dit-il
après un moment.
Le soleil couchant
baignait le paysage d’une lueur dorée qui aurait été des plus romantiques,
s’ils ne s’étaient pas trouvés aux abords d’un égout à ciel ouvert.
« C’est ici?
— Oui. Enfin, je crois »,
répondit Édouard, tout blême, une pile de papier-mouchoirs sous le nez.
L’eau fétide, boueuse,
coulait paresseusement. Ça ne
m’arriverait pas plus haut que la hanche. « Tu dis que le courant t’a
emporté?
— Le débit était bien
plus intense…
— Beurk…
— Ouais. Imagine se réveiller là-dedans… » Il eut un
frisson de révulsion. Félicia commença à croire que l’amener ici n’était pas
une si bonne idée après tout. L’air fétide était aux limites de l’insupportable
pour elle, qui était en santé… même en respirant par la bouche, elle avait
l’impression de goûter la merde sur sa langue.
Ils marchèrent une
minute ou deux en silence avant qu’Édouard s’exclame : « C’est ici!
C’est ici que je suis sorti… L’échelle… Le journal… J’en suis certain.
« Je suggère
qu’on remonte un peu plus loin, au cas où il y aurait un indice de ce qui s’est
passé… »
Édouard se contenta de
faire oui de la tête, le cœur au bord des lèvres.
Ils ne furent pas
déçus : à une centaine de mètres en amont se trouvait une irrégularité
flagrante au tracé de l’égout. Un trou rectangulaire de près de deux mètres
béait sur la paroi, la partie du bas juste au-dessus du niveau de l’eau.
« On dirait
qu’une taupe géante est sortie par ici, dit Félicia. Regarde : le bas du
tunnel s’est affaissé. Penses-tu que Hill ait pu sortir par là et tomber
dans… » Édouard fut secoué d’un haut-le-cœur. « Dans l’eau, disons.
Ce qui a effacé le symbole sur ton bras. Mais cela n’explique pas le pourquoi
du trou… » Édouard répondit par un grognement, les yeux vagues.
En se penchant
au-dessus du trou, elle découvrit qu’il était plus profond qu’elle l’aurait
cru.
« Aide-moi à
descendre…
— Sérieusement?
— Tu n’es pas curieux?
— L’énergie commence à
me manquer…
— Allez, je vais faire
ça vite. Donne-moi la main… »
Elle ne s’était pas
trompée : il s’agissait moins d’un vulgaire trou que d’un tunnel qui se métamorphosait
en un véritable couloir après quelques pas. Chose étrange : il était
éclairé de façon diffuse, sans qu’aucune source de lumière ne soit visible.
« Édouard? Il
faut que tu viennes voir ça…
— Sérieusement? »
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