dimanche 23 août 2015

Le Nœud Gordien, épisode 384 : Le fils et son papa, 1re partie

La vie d'Alexandre avait été bouleversée plusieurs fois au cours des deux dernières années. En remontant le fil des événements à rebours, un moment particulier s'avérait la clé de voûte, le point-pivot qui avait engendré tout le reste.
Il avait suivi une impulsion mal inspirée de donner une leçon à Karl Tobin en le livrant à la police, lui et son importante cargaison d'Orgasmik. Qu'avait-il voulu accomplir, au juste, avec cette manœuvre? Elle n'avait servi à rien. L'arrivée des forces policières avait mis un terme à une fusillade qui, au final, aurait pu être bien pire qu'une arrestation. Et Tobin était de retour dans la rue dès le lendemain.
Cela n'avait pas empêché Philippe, son père, d'imputer – erronément – la trahison à Mauricio Haro, un pauvre bougre qu'il avait torturé à mort.
Cela n'avait pas empêché les alliés de Haro d'enlever Alexandre en guise de représailles. Il ne se faisait pas d'illusions : sans une heureuse coïncidence, il y aurait laissé sa peau.
Cela n'avait pas empêché Alexandre, confronté à sa mortalité, de sombrer dans une dépression qui l'avait conduit à déballer à Claude Sutton les crimes de son père...
Alexandre avait tenté de faire marche arrière après qu'il ait mis le doigt dans l'engrenage, mais il était trop tard. Témoigner contre son père était une trahison de la pire espèce. Sur les conseils de son avocat, et malgré sa dénonciation initiale, il avait livré un témoignage minimaliste.
Alexandre se souviendrait toujours de l'expression de son père lorsque le verdict était tombé. Alors qu'il était demeuré impassible durant la majeure partie du procès, il avait regardé son fils, le nez plissé de dégoût. Il avait ensuite détourné la tête avant que les gardiens l'amènent. Pour Alexandre, le message avait été clair. Tu n'existes plus pour moi.
Il avait beaucoup hésité avant de se décider à le visiter. Il espérait que le temps avait fait son œuvre et que le recul avait refermé les plaies de la trahison… Une réalisation récente l’avait convaincu de tenter sa chance… Il avait mis en relation une série d’informations éparses qui, éclairaient différemment les actions de son père. C’est cette nouvelle compréhension qu’il voulait vérifier auprès de lui.
La dernière fois qu’il avait visité Philippe, il s’était rendu chez lui dans la voiture qu’il lui avait offerte. Cette fois, il était venu en transports en commun. Cette section de la ville n’était pas faite pour les piétons. Il dut marcher une vingtaine de minutes sous la pluie, dans des voies larges sans trottoirs, avant d’arriver devant la maison de son enfance.  
Son cœur tressaillit au moment de sonner. Il était possible – probable? – que son père refuse de lui ouvrir. Il tenta néanmoins sa chance. Après quelques secondes à retenir son souffle, un son familier se fit entendre… La porte grillagée pivota en grinçant.
Au moment de se mettre en marche, Alexandre se sentait plein d’aplomb, bien différent du garçon à la fois ambitieux et insécure qu’il avait été. En traversant le boisé entre la grille et la maison, son assurance fondit comme peau de chagrin. Il cessa d’être un gourou, un magicien auto-initié, un employé modèle du bar le plus cool en ville… En son for intérieur, le petit garçon à la fois admiratif et craintif de son papa prit de plus en plus de place. Le petit garçon qui avait déçu. Qui avait trahi…
Deux gardes du corps en imperméables étaient postés sur le perron. Le mauvais temps ne les avait pas découragés de porter des lunettes noires. L'un d'eux le salua d'un mouvement de la tête pendant que l'autre lui ouvrit la porte.
À une certaine époque, Alexandre avait été si habitué à la présence des gorilles qu'il ne les remarquait plus vraiment. Il y voyait maintenant un indice de l’état d’esprit de son père… Constamment assiégé, sous le coup d'une menace invisible qui frapperait s'il relâchait sa vigilance, ne serait-ce qu'un instant.
De deux choses l'une : soit Philippe avait plus d'ennemis qu'Alexandre pouvait l'imaginer... Soit cette menace était l’effet d'une vision déformée du monde et des gens.
Alexandre entra pour découvrir la maison paternelle telle qu'il ne l'avait jamais vue. 

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