La poignée de main de
Mitch était joviale, mais Karl Tobin devinait qu’il n’avait pas fini de se
convaincre que cet homme était bien son oncle ressuscité. Pendant qu’ils
marchaient vers le Terminus, Mitch lui lançait des regards à la dérobée,
peut-être à la recherche d’un signe, une confirmation supplémentaire. Il ne lui
en tint pas rigueur. À sa place, il n’aurait pas agi différemment.
« Je vais te
faire faire le tour de la place », dit Mitch en entrant dans le bâtiment.
Tiens, ici, dans la grande pièce, avant, les gens dormaient par terre.
Maintenant, on a des chaises…
— Wow, quand même! Le
gros luxe! Et toi, tu dors par terre ou sur une chaise?
— Ris si tu
veux », répondit Mitch avec un sourire mystérieux. « Tu vas peut-être
être surpris… »
Ils passèrent dans la
pièce adjacente, qui ne présentait rien de plus spectaculaire. Mais la salle
suivante… Un large escalier descendant au sous-sol, un escalier de riche qui ne
semblait pas du tout à sa place dans ce bâtiment décrépit…
« C’est quelque
chose, hein? Tu ne croiras jamais comment il est arrivé là…
— Arrivé là? Quoi, quelqu’un se promenait avec un escalier, puis il
l’a laissé tomber ici?
— C’est presque ça… C’est
tout nouveau…. Viens, tu n’as rien vu encore. »
Il le suivit jusqu’en
bas. Mitch pointa une porte. « Première chose : il ne faut jamais que
tu ailles par là.
— Ah ouais? Pourquoi?
— C’est
dangereux », répondit-il comme si c’était là tout ce que Karl avait besoin
de savoir.
« Dangereux
comment?
— Dangereux tout
court.
— Bref, tu ne sais pas
pourquoi. » Karl le toisa pendant un moment, jusqu’à ce que Mitch se
détourne. Et c’est confirmé. La curiosité
de Karl était piquée…
Mitch le conduisit
ensuite dans une vaste pièce, une sorte de salle commune qui baignait dans une
odeur de friture. Une femme entre deux âges faisait cuire des œufs dans une
grande poêle; une file de gens, assiettes à la main, attendaient leur tour
d’être servis. Ceux qui l’avaient déjà été mangeaient assis à des grandes
tables. La bonne humeur régnait sur les lieux; les gens semblaient propres, confortables,
rassasiés. On aurait davantage cru un club social de la banlieue nord que le
sous-sol d’une bâtisse abandonnée au fond du Centre-Sud.
« Woh,
minute », dit Karl. « Vous avez l’électricité?
— Non, même pas
— Ben là », répondit-il
en pointant la cuisinière. « C’est quoi ça, d’abord?
— Ça, c’est de la
magie. De la même manière, demande-moi pas comment, mais on a l’eau
courante. »
Plusieurs portes
ouvertes autour de la grande salle laissaient paraître des dortoirs par l’entrebâillement;
Mitch se rendit plutôt devant l’une des rares qui étaient closes. Il sortit un
trousseau de ses poches et libéra une clé de son anneau. Il fit jouer la clé
dans la serrure et révéla un couloir avec six portes de chaque côté, et une
autre au bout; celle-là était la seule à ne pas porter de numéro. Mitch déposa
la clé dans la main de Karl. « Ma chambre est là, c’est la numéro trois.
Tu peux prendre la huit pendant que tu es avec nous. »
Karl s’esclaffa, un
rire sans humour. « T’es le premier à te soucier de où je loge. Ça fait
changement.
— Oh, ce n’est pas
grand-chose », dit Mitch pendant que Karl ouvrait la porte de sa chambre.
« Mais c’est déjà ça. »
En effet… La pièce
offrait l’essentiel : un lit, un bureau, une commode, un sofa, une petite table
avec deux chaises… On aurait pu trouver ce genre de chambre dans n’importe quel
hôtel de La Cité.
« Bon », dit
Mitch sur un ton qui annonçait la fin de la conversation, « je te laisse
t’installer. Moi, il faut que je retourne à la porte.
— C’est toi le bouncer?
— Ouais, si on veut.
On s’est fait attaquer plusieurs fois. Des mafieux, des pyromanes. Même un sniper, une fois. Sérieusement »,
ajouta-t-il devant l’incrédulité de Karl. « Mais au jour le jour, c’est
surtout pour qu’on s’assure que les faux fidèles qui ont été barrés ne viennent
pas nous achaler. »
Évidemment, avec à
leur tête trois personnes capables de lire les pensées des gens, il devait être
facile de distinguer les vrais fidèles des profiteurs. « Mais toi, Mitch…
— Mike. S’il te plaît…
— Toi, qu’est-ce tu
gagnes là-dedans?
— Si je suis ici, c’est
parce que quelqu’un m’a conseillé de
faire confiance à Tricane, même quand ça semblait absurde.
— Ah. Ouais. Tu sais,
ce quelqu’un-là ne savait pas toujours de quoi il parle. »
Mitch… Mike ricana. « J’ai quand même
embarqué. Elle payait bien. Et elle m’a montré la magie. Pas que j’aie réussi à
faire quoi que ce soit avec ça, remarque…
— Et maintenant
qu’elle n’est plus là?
— Je n’aurais jamais
pensé dire ça un jour, mais… C’est du monde correct, ici. Et ils ont besoin de
nous autres, sinon leur vie de merde serait encore pire. »
Karl ne savait pas
quoi répondre. Il se contenta de grogner. Mike lui donna une tape amicale sur
l’épaule et le laissa seul dans sa chambre.
Karl était au Terminus
pour servir de liaison avec les Maîtres qui l’avaient ramené à la vie, mais
pour l’instant, il voulait plus que tout autre chose une réponse à la question qui
le taraudait depuis son premier passage au Terminus…
Incomplet? Moi?
Il posa son sac sur le
lit. Il n’avait pas l’intention de végéter dans sa chambre. La prochaine étape
serait de mettre le grappin sur l’un des trois leaders pour lui tirer les vers
du nez.
Tobin sursauta en
sortant : la petite Asiatique l’attendait devant sa porte.
« Tu voulais nous
voir », dit-elle. C’était une affirmation, pas une question. « Je
peux entrer? »
Tobin s’écarta pour
laisser passer le petit bout de femme.
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