dimanche 1 novembre 2015

Le Nœud Gordien, épisode 394 : Maya

Aizalyasni revint avec la poupée de chiffon. Timothée et elle s’assirent en tailleur face à face; elle la déposa entre eux avec autant de soin que si elle avait été un enfant de chair de sang. Les deux jeunes gens inspirèrent en même temps; un instant plus tard, leurs visages s’éclairèrent d’un sourire maniaque. Ils scrutèrent longuement la poupée sans rien dire, sans même battre des paupières une seule fois.
Karl ne pouvait pas lire le moindre indice quant à leur progrès : leur expression exaltée masquait tout. Au terme d’une éternité apparente, les deux exhalèrent, comme s’ils venaient de relâcher une lourde charge soutenue trop longtemps. « Ça ne donne rien », dit l’un.
« Comme les autres fois », dit l’autre.
Karl, pour sa part, entretenait la réflexion inverse : si la poupée avait bougé une fois pour faire connaître l’opinion de Tricane, il était convaincu qu’elle pouvait le faire à nouveau. « Est-ce que vous avez essayé en bas? », proposa Karl. « Dans la zone interdite?
— Bon bon bon », railla Mike. « Du grand Karl : pas facile de te faire dire non, hein? 
— Tu parlais de potentiel infini », dit-il en s’adressant à Aizalyasni, ignorant Mike.
« Je parlais aussi de risques infinis, si tu te souviens bien. »
Karl haussa les épaules. « Qui ne risque rien n’a rien. »
 Tim et Aizalyasni échangèrent un regard. Se consultaient-ils, avaient-ils une discussion muette d’esprit à esprit? Karl ne pouvait même pas imaginer comment tout cela se passait pour eux.
Après un moment, ils hochèrent la tête. « C’est une idée », dit Aizalyasni.
« C’est de là que la poupée vient », dit Timothée. « Allons-y. »
 Karl fit un sourire à Mike, un sourire qui voulait dire t’as raison, le kid. J’ai toujours ce que je veux.
Ils descendirent ensemble. Le couloir derrière la porte interdite n’avait, au final, rien de bien spécial. La nervosité de Tim et Aizalyasni était toutefois palpable, ce qui encouragea Karl à demeurer sur ses gardes. Timothée ouvrit la marche dans ce qui s’avéra des méandres de corridors identiques qu’il navigua d’un pas assuré.
Ils débouchèrent sur une chambre d’enfant tapissée de toutous et autre bébelles. Tim et Nini s’installèrent sur le lit et refirent le même manège qu’auparavant.
Cette fois, Karl sentit l’atmosphère s’alourdir de seconde en seconde, comme si la pièce se chargeait d’une quantité croissante d’électricité, à un point tel qu’il n’aurait pas été surpris que cette énergie se décharge en un coup de tonnerre. Il jeta un coup d’œil à Mike; il vit la sueur perler sur le front de son neveu. Celui-ci avait dégainé son arme. Un geste inutile, à la limite de la stupidité, mais Karl comprenait le réconfort que pouvait apporter un gun dans sa main… L’impression d’être en contrôle. Même si, au final, ce n’était qu’une illusion.
Il ne laissa rien transparaître, mais le cœur de Karl bondit lorsqu’il vit la poupée tressaillir et se redresser.
« Madame », dit Timothée. « Nous avons perdu Martin.
— Nous ignorons qui l’a enlevé », continua Aizalyasni.
« Il est hors de notre zone magique.
— Nous ne savons pas quoi faire.
— Nous avons besoin de conseils. »
La poupée tourna son visage inexpressif vers chacun des individus présents. Ses yeux en boutons lui donnaient un air ahuri. Timothée, Aizalyasni, Mike, tout le monde attendait quelque chose… Quelque chose qui ne venait pas.
Karl les surprit tous lorsqu’il saisit la poupée pour la déposer par terre. Il trouva un kit à dessin parmi les jouets; il déposa une feuille vierge devant elle avant de lui tendre un crayon feutre.
Celle-ci le prit avec ses bras sans mains et traça maladroitement une lettre, puis une autre. « J’vous dit que vous êtes chanceux de m’avoir », dit Karl, satisfait, pendant que la poupée s’affairait à transmettre son message.

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