Aizalyasni revint avec
la poupée de chiffon. Timothée et elle s’assirent en tailleur face à face; elle
la déposa entre eux avec autant de soin que si elle avait été un enfant de
chair de sang. Les deux jeunes gens inspirèrent en même temps; un instant plus
tard, leurs visages s’éclairèrent d’un sourire maniaque. Ils scrutèrent longuement
la poupée sans rien dire, sans même battre des paupières une seule fois.
Karl ne pouvait pas
lire le moindre indice quant à leur progrès : leur expression exaltée
masquait tout. Au terme d’une éternité apparente, les deux exhalèrent, comme
s’ils venaient de relâcher une lourde charge soutenue trop longtemps. « Ça
ne donne rien », dit l’un.
« Comme les
autres fois », dit l’autre.
Karl, pour sa part,
entretenait la réflexion inverse : si la poupée avait bougé une fois pour
faire connaître l’opinion de Tricane, il était convaincu qu’elle pouvait le
faire à nouveau. « Est-ce que vous avez essayé en bas? », proposa
Karl. « Dans la zone interdite?
— Bon bon bon »,
railla Mike. « Du grand Karl : pas facile de te faire dire non, hein?
— Tu parlais de
potentiel infini », dit-il en s’adressant à Aizalyasni, ignorant Mike.
« Je parlais
aussi de risques infinis, si tu te
souviens bien. »
Karl haussa les
épaules. « Qui ne risque rien n’a rien. »
Tim et Aizalyasni échangèrent un regard. Se
consultaient-ils, avaient-ils une discussion muette d’esprit à esprit? Karl ne
pouvait même pas imaginer comment tout cela se passait pour eux.
Après un moment, ils hochèrent
la tête. « C’est une idée », dit Aizalyasni.
« C’est de là que
la poupée vient », dit Timothée. « Allons-y. »
Karl fit un sourire à Mike, un sourire qui
voulait dire t’as raison, le kid. J’ai
toujours ce que je veux.
Ils descendirent
ensemble. Le couloir derrière la porte interdite n’avait, au final, rien de
bien spécial. La nervosité de Tim et Aizalyasni était toutefois palpable, ce
qui encouragea Karl à demeurer sur ses gardes. Timothée ouvrit la marche dans
ce qui s’avéra des méandres de corridors identiques qu’il navigua d’un pas
assuré.
Ils débouchèrent sur
une chambre d’enfant tapissée de toutous et autre bébelles. Tim et Nini s’installèrent
sur le lit et refirent le même manège qu’auparavant.
Cette fois, Karl
sentit l’atmosphère s’alourdir de seconde en seconde, comme si la pièce se
chargeait d’une quantité croissante d’électricité, à un point tel qu’il n’aurait
pas été surpris que cette énergie se décharge en un coup de tonnerre. Il jeta
un coup d’œil à Mike; il vit la sueur perler sur le front de son neveu.
Celui-ci avait dégainé son arme. Un geste inutile, à la limite de la stupidité,
mais Karl comprenait le réconfort que pouvait apporter un gun dans sa main… L’impression d’être en contrôle. Même si, au
final, ce n’était qu’une illusion.
Il ne laissa rien
transparaître, mais le cœur de Karl bondit lorsqu’il vit la poupée tressaillir
et se redresser.
« Madame »,
dit Timothée. « Nous avons perdu Martin.
— Nous ignorons qui l’a
enlevé », continua Aizalyasni.
« Il est hors de notre
zone magique.
— Nous ne savons pas
quoi faire.
— Nous avons besoin de
conseils. »
La poupée tourna son
visage inexpressif vers chacun des individus présents. Ses yeux en boutons lui
donnaient un air ahuri. Timothée, Aizalyasni, Mike, tout le monde attendait
quelque chose… Quelque chose qui ne venait pas.
Karl les surprit tous
lorsqu’il saisit la poupée pour la déposer par terre. Il trouva un kit à dessin
parmi les jouets; il déposa une feuille vierge devant elle avant de lui tendre
un crayon feutre.
Celle-ci le prit avec ses
bras sans mains et traça maladroitement une lettre, puis une autre. « J’vous
dit que vous êtes chanceux de m’avoir », dit Karl, satisfait, pendant que
la poupée s’affairait à transmettre son message.
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