Philippe s’assit sur la
chaise devant Édouard.
Alexandre savait bien
que les deux frères étaient en froid depuis toujours, mais il ne s’était pas
attendu à une réaction aussi intense de la part d’Édouard… Sa déconfiture
semblait totale. Affaissé sur son siège, les bras tombants, il ne restait rien
du modèle de volonté et de persévérance que son oncle avait toujours incarné à
ses yeux.
Les deux frères
étaient aussi immobiles que s’ils avaient été peints en tableau. À sa gauche,
Édouard, transformé en guenille; à sa droite, Philippe, scrutant l’autre d’un
regard inexpressif.
Alexandre avait voulu
jouer le rôle du réconciliateur en orchestrant cette rencontre… Il avait
conscience qu’il jouait la confiance d’Édouard contre le gain de quelques bons
points auprès de son père. À voir sa mine abattue, Alexandre craignait qu’il
ait perdu la mise, que sa bonne intention ait plutôt été reçue comme une
trahison de la pire espèce.
« Édouard »,
dit Alexandre pour briser le silence, « ce n’est pas ce que tu
crois… » La formule, déjà convenue, sonnait particulièrement creuse. Il
valait mieux venir aux faits dès que possible. « Mon père est un initié! »
Édouard se redressa comme un ressort, les points d’interrogation dans les yeux.
« J’ai eu comme un flash », continua Alex. « Je me suis dit qu’il
y avait peut-être une raison cachée pour expliquer qu’il ne parle plus à
personne. Alors j’ai fait comme avec toi. Je lui ai révélé que j’en étais un
aussi. J’avais raison…
— Quoi? Non, ça ne se
peut pas. Quand même, Alex, tu ne vas pas croire cela! Il a juste pris la balle
au bond pour te faire avaler n’importe quoi… Et puis, initié par qui? »
Philippe remonta ses
lunettes. « Gordon. Il avait besoin d’un allié pour distribuer son
composite O dans La Cité…
— Comment ça, son composite O? Gordon, derrière
l’Orgasmik? N’importe quoi! Je connais le gars… Je ne peux même pas l’imaginer
en vendeur de drogues!
— Écoute, garde l’esprit
ouvert », suggéra Alex.
— Je n’ai pas pu en
parler durant le procès parce qu’il a utilisé sa… » il fit un geste de la
main « …magie pour m’empêcher de le faire.
— Ah oui? Tu l’aurais
dénoncé, sinon?
— Sincèrement, je ne
sais pas. Peut-être. Mais je n’ai pas eu le choix… »
Édouard se redressa.
Alexandre reconnaissait son expression : il avait la puce à l’oreille. Il
devinait que son oncle passait en revue l’intégralité de leur enquête à la
lumière de cette nouvelle information. Déclic. « Alex! Si c’est vrai… c’est
pour ça qu’Avramopoulos t’a approché!
— Hein?
— Après le procès…
Quand Aleksi Korhonen t’a posé plein de questions sur l’Orgasmik et l’entourage
de ton père… Pour finir par te refiler une photo de Gordon…
— Oui? » Ses
motivations demeuraient nébuleuses à ce jour, et Alexandre n’était pas certain de
comprendre à quoi Édouard référait.
« Tu sais comment
Avramopoulos et Gordon sont toujours en train de se piquer… Toujours à essayer
de montrer que l’un est meilleur que l’autre… Gordon a le père? Avramopoulos va
vouloir le fils. Surtout si c’est un beau jeune homme comme toi…
— Mais encore?
Pourquoi me lancer sur la piste de Gordon?
— je ne sais pas… Le
déconcentrer, en le forçant à mieux se cacher? Ou peut-être qu’Avramopoulos
voulait te tester avant de t’initier? »
Il ne restait plus
rien de l’Édouard de guenille. Il était à nouveau habité de cette énergie qui l’habitait
tout entier lorsqu’il tenait un filon.
« Qui est
Avramopoulos? », demanda Philippe. Édouard se renfrogna, comme si l’excitation
lui avait fait oublier sa présence un instant.
« Un autre Maître »,
dit Alexandre.
« Ah. Et c’est
lui qui t’a initié?
— C’est un peu plus
compliqué que cela… C’est Édouard qui… »
Ce dernier ne laissa
pas Alexandre finir sa phrase. « Qu’est-ce que tu me veux, Philippe?
— Alexandre m’a dit
que tu avais réussi à annuler le procédé qui t’empêchait de parler. Je veux que
tu le fasses pour moi aussi. »
Alex retint son
souffle. Il craignait qu’Édouard explose de rage, qu’il s’en aille, qu’il coupe
les ponts. Stoïque, il répondit plutôt : « une faveur pour une
faveur? »
Philippe hésita un
instant avant d’acquiescer. Il semblait méfiant.
Édouard déchira son
napperon de papier en deux. « Je vais avoir besoin d’équipement… » Il
sortit un crayon de sa poche et dressa une liste sur chaque demi-napperon. Il
tendit la première à Alexandre. « Toi, tu es sur le dossier de la
quincaillerie. »
Il jeta un coup d’œil à
la liste. Une boîte de craie, une lampe frontale… « Des pinces cutter?
— Mmm mmm », répondit
Édouard en travaillant sur la deuxième liste. « Quelque chose capable de
passer à travers un cadenas.
— Mais pourquoi?
— Parce que ce n’est
pas possible d’acheter tout ce dont on a besoin… Il va falloir qu’on emprunte
un laboratoire. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire