dimanche 8 janvier 2017

Le Nœud Gordien, épisode 452 : Échaudée

« Qu’est-ce qui s’est passé?
— Qu’est-ce qu’il a dit?
— Écartez-vous!
— Est-ce qu’on a besoin d’une ambulance?
— Mais laissez-le parler! »
Félicia se trouvait dans l’œil du cyclone, immobile au milieu d’une tempête de mouvements et de paroles. Elle était stupéfaite, sans savoir si elle devait agir, incapable de déterminer comment agir.
Elle semblait être la seule à avoir compris ce mot que Gordon avait prononcé en pointant le père Van Haecht. Harré. Voulait-il dire que c’était Harré qui avait saboté la Joute? Ou qu’il avait possédé Van Haecht, comme son clin d’œil le laissait croire?
Si c’était bien Harré qui s’enfuyait par l’ascenseur, elle aurait dû se précipiter à sa suite, l’arrêter avant qu’il ne s’échappe.
Pourquoi, alors, demeurait-elle figée au milieu du brouhaha? Qu’était devenue la femme déterminée, courageuse, qui avait couru sans hésiter jusqu’au sommet du Hilltown en flammes?
C’était la témérité de cette femme qui l’avait conduite à outrepasser ses capacités. Une erreur qui avait failli lui être fatale.
Échaudée, elle se retrouva paralysée en ce moment crucial, à attendre que son Maître ait fini de s’époumoner, espérant qu’ensemble, ils sauraient quoi faire.
Alors que la toux de Gordon se calmait enfin, un « Non, non non! » paniqué retentit de l’autre côté de la pièce. C’était Daniel Olson, en train de s’arracher les cheveux à deux mains. « Pas encore! », ajouta-t-il avant de s’élancer vers l’escalier, ajoutant une couche de confusion à la scène. Interloqués, Vasquez et Polkinghorne se précipitèrent à sa suite.
Gordon réussit enfin à se remettre sur pied. Ses yeux larmoyants étaient injectés de sang; un filet de salive coulait de son menton. « Ça va, ça va aller, dit-il entre deux toussotements.
— Qu’est-ce qui vous est arrivé!?, demanda Latour.
— Je l’ignore, répondit Gordon d’une voix éraillée.
— Est-ce que je peux faire quelque chose?
— Merci, Berthold. Mais non. Je suis fatigué – la Joute m’a complètement drainé.
— Qui a gagné?, demanda Avramopoulos.
— Mais on s’en fout! », s’écria Félicia. Malaise.
« Je vous l’avais dit que ce procédé était dangereux, rappela Mandeville. Je dois vous examiner, Arthur et toi.
— Ce ne sera pas nécessaire, répondit Gordon.
— J’insiste.
— Plus tard. Pour l’instant, je dois me reposer. Félicia, amène-moi à ta chambre, s’il te plaît. »
Elle l’aida à marcher jusqu’à l’ascenseur. Elle appuya sur le bouton à répétition, mais les portes ne s’ouvrirent pas. Elle avait l’impression que tout le monde la regardait. « Serais-tu capable de prendre l’escalier? » Gordon acquiesça. Le temps de se rendre à son pied-à-terre, le Maître avait retrouvé une bonne part de sa contenance habituelle.
« Je ne suis pas folle? Tu as bien dit Harré? », demanda-t-elle dès que la porte fut refermée. Ils étaient seuls, mais elle ressentait tout de même le besoin de chuchoter.
Gordon hocha la tête, circonspect.
« Qu’est-ce que ça veut dire?
— Il a pris le contrôle de Van Haecht. »
La confirmation de ce qu’elle avait craint lui fit tourner la tête. Son cœur, sa respiration, le flot de ses pensées, tout s’accéléra. « Il faut avertir les autres, et vite!, dit-elle, la main sur la poignée de la porte.
— Non. C’est notre gâchis. C’est à nous de le réparer.
Notre gâchis?
— N’en parle à personne, point à la ligne.
— Es-tu devenu inconscient, ou quoi? C’est de Harré dont il est question. Harré! En liberté! Dans La Cité!
— Ce n’est pas une suggestion, ou une discussion : c’est un ordre.
— Mais…
— Pas de mais. Tu as juré de m’obéir. Respecte ta promesse. » Son ton était dur, sans appel. « Laisse-moi. Reviens dans une demi-heure. Nous parlerons stratégie. » Gordon s’affaissa sur le matelas gonflable, puis il ferma les yeux.
Abasourdie, Félicia sortit sans rien dire.
Il fallait reconnaître que Gordon n’avait pas tort : c’était aussi son gâchis. Elle était la seule qui aurait pu empêcher Harré de s’enfuir. Au moment crucial, elle avait hésité. Elle se détestait de l’avoir laissé filer, de ne pas s’être ressaisie à temps, de ne pas avoir pris l’initiative d’ameuter toute l’assemblée.
Tout le tort créé par Harré serait sur sa conscience. Elle avait le devoir de lui mettre le grappin dessus. Mais comment?
Elle passa les minutes suivantes à échafauder un argumentaire pour convaincre Gordon d’avertir les autres. En cours de route, toutefois, elle eut une idée… Un moyen de débusquer Harré sans contrevenir à ses promesses.

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