dimanche 22 janvier 2017

Le Nœud Gordien, épisode 454 : Failles, 1re partie

Tobin partageait son temps entre l’Agora, le Terminus et la Petite-Méditerranée. Lorsqu’il traînait au Café Buzzetta, ses anciens collègues – enfin, ceux de Marco Kotzias – semblaient le considérer davantage comme un convalescent que comme un soldat de l’organisation Fusco. On l’accueillait comme un frère, on lui payait café, ouzo ou grappa, mais on ne le mêlait pas aux affaires courantes. Il ne s’asseyait jamais à la table de Pops pour parler business; lorsque celui-ci s’adressait à Marco, c’était accoudé au bar, pour parler de la pluie et du beau temps.
Tobin ne souffrait pas d’être ainsi écarté, au contraire : il profitait de son temps en marge pour explorer les pensées des mafieux. De fil en aiguille, il disposait maintenant d’un portrait complet des effectifs liés au café et, dans une moindre mesure, du reste de La Cité. Malheureusement, aucun d’eux n’avait été impliqué dans l’enlèvement et la séquestration odieuse de Martin. Il en était venu à la conclusion qu’il était temps d’enquêter sur la garde rapprochée du clan Fusco.
Les têtes pensantes ne se mêlaient pas à la racaille; les chefs préféraient passer par des intermédiaires comme Pops pour coordonner leurs forces. Il aurait été difficile pour Marco de rencontrer M. Fusco, à moins d’avoir d’excellentes raisons… Mais c’était sans compter le nouvel outil dont il disposait. En sachant comment infléchir le cours des pensées d’autrui, il n’avait plus à convaincre personne.
Plus les paramètres sont précis, plus l’opération est facile, disait Olson. Tobin se contenta donc d’implanter dans la tête de Pappas l’importance capitale de lui organiser une rencontre avec Fusco. Deux jours plus tard, Marco était convoqué à son quartier général.
On le fouilla à l’entrée, mais c’était sans importance. Sa vraie arme, c’était l’énergie magique qu’Aizalyasni et Martin acheminaient jusqu’à lui.
On le guida jusqu’à l’antichambre de Fusco, au dernier étage. Il fut quelque peu surpris d’y trouver Guiseppe Cipriani.
« Marco, dit-il en étreignant Tobin.
— Beppe.
— Content de te revoir, dit-il avec une tiédeur qui contredisait ses mots. Comment va Melissa?
— Oh, tu sais… Pas trop mal…
— Je l’ai croisée l’autre jour, elle magasinait.
— Ah ouais?
— Oui. Je lui ai demandé de tes nouvelles. Elle m’a dit qu’elle ne t’avait vu qu’une seule fois, et encore, que c’était elle qui t’avait couru après. »
Marco avait été très près de sa sœur Melissa, mais Tobin n’avait jamais eu l’intention de prendre sa place et de vivre sa vie – autrement que pour servir ses propres projets. Il haussa les épaules. « Si tu savais comment elle m’a engueulé, cette fois-là… Ça m’a enlevé l’envie de recommencer. Pour l’instant. »
Beppe le scruta un instant, dubitatif. Puis il haussa les épaules à son tour. Se doutait-il de quelque chose? Si loin du Centre-Sud, lire les pensées demandait un certain effort qui ne passerait pas inaperçu. Avant qu’il ait pu trouver une occasion de le faire discrètement, la porte de Fusco s’ouvrit.
« C’est l’heure », dit le garde du corps en lui montrant le chemin. Beppe lui emboîta le pas.
Fusco était assis derrière un bureau antique. Sans lever les yeux, il fit signe à Tobin de prendre place. Il obéit; Beppe, quant à lui, resta debout juste derrière.
Fusco continua à jouer de la plume pendant au moins trois minutes, après quoi il dit : « Bon. Marco Kotzias. Notre revenant.
— Monsieur Fusco. Merci d’avoir accepté de me rencontrer.
— Pops a beaucoup insisté. Il m’a dit que tu voulais me parler de… Pommes pourries. »
Tobin n’avait rien dit de tel; il s’était contenté de demander l’audience. Il se souvenait des explications d’Olson à propos de l’implantation de pensées : son esprit va imaginer les détails. Tu ne sais jamais ce qu’il va inventer de son côté.
Cipriani prit le relais, forçant Tobin à se tordre sur sa chaise pour l’avoir dans son champ de vision. « Paraît que tu penses que la frappe contre Abel Laganà, et ce qui vous est arrivé, à Bruno, Luigi et toi, c’est relié. »
Fuck. Ça… il aurait préféré que Pops garde cette conversation pour lui. Il avait lancé cette théorie pour secouer la cage pendant qu’il tâtonnait pour trouver des failles dans la loyauté des hommes de Fusco. Au final, il y avait bel et bien un lien : les Trois se trouvaient derrière ces deux événements.
« Marco… », continua Beppe, en pressant sur ses épaules. « Pourquoi t’intéresses-tu au cas de Laganà? »
Le contrôle de la situation lui glissait des mains. « Monsieur Fusco, dit-il, est-ce que je peux vous parler seul à seul? »
Profitant du fait que Beppe lui tournait le dos, Tobin connecta avec le relais magique. Énergisé, son esprit partit à la rencontre de celui de Fusco. Les tests d’Aizalyasni lui avait permis de trouver la faille dans l’esprit de James, par laquelle elle pouvait changer ses idées; celle de Fusco s’avéra autrement plus difficile à trouver. Il réussit néanmoins à s’y insinuer. Seul à seul, souffla-t-il directement à l’esprit de Fusco. C’est important.
« Laisse-nous », dit Fusco à Beppe.
La pression sur les épaules de Tobin disparut d’un coup. Cipriani s’éloigna sans cacher son air dubitatif, mais sans discuter non plus. Il sortit en fermant la porte derrière lui.

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