dimanche 23 janvier 2011

Le Noeud Gordien, épisode 154 : Infiltration, 1re partie

Le téléphone d’Édouard signala l’arrivée d’un message texto. Il était onze heures moins quart; à cette heure, c’était probablement le signe qu’il s’agissait de l’occasion qu’il attendait depuis un moment déjà. Il s’était mis au lit mais ne dormait pas encore; dès que le son retentit, il bondit jusqu’à son appareil.
Le message était effectivement envoyé par Alexandre. Le temps était venu. Il n’avait pas une seconde à perdre : Aleksi Korhonen, « Eleftherios Avramopoulos », buvait seul dans le salon privé du Den.
Il sauta dans la douche pour se rafraîchir. Il avait déjà choisi comment il s’habillerait : il s’était acheté une chemise rayée trois couleurs spécialement pour l’occasion, un peu plus excentrique que ce qu’il portait habituellement. Elle complétait admirablement bien l’habit que Geneviève lui avait acheté pour le dernier encan de Cité Solidaire – elle s’était montrée inflexible : elle ne le laisserait pas s’y présenter vêtu comme au travail.
À onze heures cinq, il était dans sa voiture en route pour le Den. Il se stationna non loin avant d’activer la fonction d’enregistrement de son téléphone qui lui avait si bien servi la dernière fois.
En tournant le coin de la rue où trônait le complexe du Den, Édouard ravala un juron. Aleksi n’était pas le seul à être sorti ce soir : la file des fêtards s’étendait sur toute la longueur du bloc. Des hommes habillés comme des cartes de mode subissaient l’attente avec stoïcisme. Édouard remarqua que les vestons étaient rares. Il se mit à douter de son choix de look, mais il était trop tard pour reculer.
Le plan A était d’entrer dans le Den puis d’envoyer un texto à Alexandre pour qu’il trouve un moyen de lui donner accès à l’étage… La file semblait un point de passage obligé.
Dix minutes plus tard, il n’avait toujours pas avancé d’un pas. Derrière lui, d’autres arrivants avaient allongé la rangée jusqu’au détour de la rue par laquelle il était arrivé. Était-ce ainsi tous les vendredis? Était-ce le théâtre de quelque événement spécial?
La plupart des gens autour de lui n’étaient pas seuls. Il tendit l’oreille pour intercepter des informations à propos de la soirée. Il n’entendit rien qui puisse l’éclairer. Beaucoup de gens autour de lui avaient leur téléphone à la main, fixés sur le petit écran ou en train d’écrire à toute vitesse. Il fit comme eux pour écrire à Alex un simple mot : Contretemps.
Un autre quinze minutes passa; Édouard n’avait franchi que quelques mètres durant ce temps. Il ne pouvait pas se permettre de maintenir cette cadence jusqu’à la porte : qui sait combien de temps Aleksi resterait sur place? 
Édouard n’avait pas de plan B; il était temps d’en inventer un. Il abandonna sa place dans la file en considérant cette voie comme une cause perdue. Il alla observer le bâtiment sur toute sa périphérie à la recherche d’une autre issue. Il n’était pas très optimiste : ce genre d’établissement était généralement géré de manière à bloquer les invités clandestins…
Toutes les issues de secours étaient fermées, verrouillées de l’intérieur et surveillées par des caméras de sécurité. Édouard ne s’y attarda pas.
Dans la ruelle derrière l’édifice, il trouva une issue potentielle... Contre le mur, un homme et une douzaine de jeunes femmes, la plupart belles à couper le souffle, formaient une file d’un autre genre que celle devant l’entrée principale. Édouard s’approcha prudemment. C’était sans aucun doute l’entrée VIP; la façon dont quelques femmes le regardèrent en souriant le conduit à penser qu’elles croyaient que son nom était sur la liste, qu’elles espéraient être invitées… Deux cerbères aux allures de culturistes contrôlaient l’accès derrière une corde de velours rouge. Peut-être pourrait-il soudoyer l’un des portiers? Il fouilla ses poches pour trouver l’un des billets qu’il avait déjà plié au cas où il aurait besoin de graisser discrètement la patte à quelqu’un…
Édouard sursauta en voyant un gorille lui faire signe. Pendant une fraction de seconde, il crut qu’on l’enverrait se faire voir, qu’on lui dirait d’arrêter de rôder près des issues secondaires. Il constata avec surprise que le portier était plutôt en train de décrocher la corde qui bloquait l’accès.
« M. Gauss », lui dit-il avec un mouvement amical. Malgré la reconnaissance du public, Édouard ne s’était jamais vraiment considéré comme une star. Manifestement, les portiers du Den pensaient différemment.
Encore abasourdi, il passa directement à l’étage sans même penser à offrir le billet qu’il tenait pourtant au creux de sa paume. 

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