Le message était effectivement envoyé par Alexandre.
Le temps était venu. Il n’avait pas une seconde à perdre : Aleksi
Korhonen, « Eleftherios Avramopoulos », buvait seul dans le salon
privé du Den.
Il sauta dans la douche pour se
rafraîchir. Il avait déjà choisi comment il s’habillerait : il s’était
acheté une chemise rayée trois couleurs spécialement pour l’occasion, un peu
plus excentrique que ce qu’il portait habituellement. Elle complétait
admirablement bien l’habit que Geneviève lui avait acheté pour le dernier encan
de Cité Solidaire – elle s’était montrée inflexible : elle ne le
laisserait pas s’y présenter vêtu comme au travail.
À onze heures cinq, il était dans sa
voiture en route pour le Den. Il se stationna non loin avant d’activer la
fonction d’enregistrement de son téléphone qui lui avait si bien servi la
dernière fois.
En tournant le coin de la rue où trônait
le complexe du Den, Édouard ravala un juron. Aleksi n’était pas le seul à être
sorti ce soir : la file des fêtards s’étendait sur toute la longueur du
bloc. Des hommes habillés comme des cartes de mode subissaient l’attente avec
stoïcisme. Édouard remarqua que les vestons étaient rares. Il se mit à douter
de son choix de look, mais il était
trop tard pour reculer.
Le plan A était d’entrer dans le Den puis
d’envoyer un texto à Alexandre pour qu’il trouve un moyen de lui donner accès à
l’étage… La file semblait un point de passage obligé.
Dix minutes plus tard, il n’avait toujours
pas avancé d’un pas. Derrière lui, d’autres arrivants avaient allongé la rangée
jusqu’au détour de la rue par laquelle il était arrivé. Était-ce ainsi tous les
vendredis? Était-ce le théâtre de quelque événement spécial?
La plupart des gens autour de lui
n’étaient pas seuls. Il tendit l’oreille pour intercepter des informations à
propos de la soirée. Il n’entendit rien qui puisse l’éclairer. Beaucoup de gens
autour de lui avaient leur téléphone à la main, fixés sur le petit écran ou en
train d’écrire à toute vitesse. Il fit comme eux pour écrire à Alex un simple
mot : Contretemps.
Un autre quinze minutes passa; Édouard
n’avait franchi que quelques mètres durant ce temps. Il ne pouvait pas se
permettre de maintenir cette cadence jusqu’à la porte : qui sait combien
de temps Aleksi resterait sur place?
Édouard n’avait pas de plan B; il était
temps d’en inventer un. Il abandonna sa place dans la file en considérant cette
voie comme une cause perdue. Il alla observer le bâtiment sur toute sa
périphérie à la recherche d’une autre issue. Il n’était pas très
optimiste : ce genre d’établissement était généralement géré de manière à bloquer
les invités clandestins…
Toutes les issues de secours étaient
fermées, verrouillées de l’intérieur et surveillées par des caméras de sécurité.
Édouard ne s’y attarda pas.
Dans la ruelle derrière l’édifice, il
trouva une issue potentielle... Contre le mur, un homme et une douzaine de
jeunes femmes, la plupart belles à couper le souffle, formaient une file d’un
autre genre que celle devant l’entrée principale. Édouard s’approcha
prudemment. C’était sans aucun doute l’entrée VIP; la façon dont quelques
femmes le regardèrent en souriant le conduit à penser qu’elles croyaient que
son nom était sur la liste, qu’elles espéraient être invitées… Deux cerbères
aux allures de culturistes contrôlaient l’accès derrière une corde de velours
rouge. Peut-être pourrait-il soudoyer l’un des portiers? Il fouilla ses poches
pour trouver l’un des billets qu’il avait déjà plié au cas où il aurait besoin
de graisser discrètement la patte à quelqu’un…
Édouard sursauta en voyant un gorille lui
faire signe. Pendant une fraction de seconde, il crut qu’on l’enverrait se
faire voir, qu’on lui dirait d’arrêter de rôder près des issues secondaires. Il
constata avec surprise que le portier était plutôt en train de décrocher la
corde qui bloquait l’accès.
« M. Gauss », lui dit-il avec un
mouvement amical. Malgré la reconnaissance du public, Édouard ne s’était jamais
vraiment considéré comme une star. Manifestement, les portiers du Den pensaient
différemment.
Encore abasourdi, il passa directement à l’étage
sans même penser à offrir le billet qu’il tenait pourtant au creux de sa paume.
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