dimanche 8 mai 2011

Le Noeud Gordien, épisode 169 : Ils étaient quatre…

Ils étaient quatre guerriers, quatre tueurs aguerris. Quatre vétérans qui avaient épaulé sans coup férir Frank Batakovic au fil des années. Les quatre travaillaient donc pour Lev Lytvyn, mais leur loyauté était toujours demeurée tout entière investie auprès de lui. Après la mort du vieux, il leur avait dit : « Jean Smith est notre homme », alors ils avaient respecté la volonté de leur chef.
Ils avaient vu Smith démanteler l’organisation criminelle la plus puissante du continent en laissant les Sons of a Gun et le caïd de la Petite-Méditerranée recouvrer leur indépendance. Comment pareil faiblard avait pu succéder au redouté Lytvyn? Pourquoi Batakovic s’était-il rallié à lui?
Ils en étaient venus à se dire que leur entente avec Smith aurait dû mourir en même temps que Frank.
Durant les derniers mois, ils s’étaient ingéniés à tâter prudemment la marge de manœuvre dont ils disposaient. Ils amputaient leurs redevances à Smith d’une fraction importante; leurs hommes dans la rue empiétaient impunément sur les plates-bandes de leurs voisins, sans regard pour leur alliance de principe… Lytvyn aurait brutalement supprimé pareille insubordination, mais les quatre ne subirent aucunes représailles, pas même d’avertissement pour que cessent leur incartade.
Un jour, ils avaient décidé de s’ouvrir une garderie. Enfin, c’est par cette plaisanterie qu’ils décrivaient leur initiative… Ils avaient mis à profit la mouvance post-Lytvyn pour investir dans ce cheap labour que sont les jeunes de la rue. Ils en avaient gagné beaucoup à leur cause en leur promettant de l’argent rapide et des filles faciles… Et encore plus après qu’ils eussent commencé à remplir leurs promesses. Leur connaissance des rouages de La Cité leur permit ainsi d’unifier une constellation de bums et d’adolescents désœuvrés en une force cohésive.
Le résultat? Les Rottens faisaient maintenant trembler les honnêtes citoyens autant que les crapules, sans que personne – pas même Smith, ils en étaient certains – ne réalise que les quatre tiraient leurs ficelles.
Comble de l’ironie, Karl Tobin était venu frapper à leur porte pour solliciter leur aide contre les Sons of a Gun. Ils savaient déjà que depuis son improbable retour – tous l’avaient cru mort –, il s’était acoquiné avec le camp de Smith. Il leur avait demandé de tirailler autour du camp des Sons of a Gun pour créer une diversion à grande échelle pendant qu’il attaquait de son côté – probablement de la mer, quoiqu’il n’eût pas précisé cette partie de son plan. Ils avaient acquiescé et promis leur assistance, mais le moment venu, leurs armes étaient demeurées silencieuses. Personne ne savait exactement ce qui s’était passé ce jour-là, mais les quatre avaient fait d’une pierre deux coups : les Sons of a Gun avaient été décimés et Tobin lui-même y avait laissé sa peau. En choisissant de ne pas jouer, ils avaient raflé la mise.
Le temps de montrer patte blanche tirait à sa fin. La Cité leur appartiendrait et personne ne les en empêcherait.
Ils allaient tuer Jean Smith.
Il n’était pas facile à trouver : il marchait dans la ville comme un fantôme, apparaissant là où on ne l’attendait pas ou disparaissant avant qu’on n’eût remarqué sa présence… Smith ne prêtait jamais le flanc en s’exposant de manière à ce que des ennemis puissent en tirer profit.
Mais les quatre disposaient d’un avantage de taille : ils étaient ses alliés.
Ils allaient lui tendre un piège duquel même un fantôme ne pourrait s’échapper… 

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