dimanche 30 septembre 2012

Le Noeud Gordien, épisode 240 : Urgence, 3e partie

Hoshmand cracha l’écume dégoûtante qui s’insinuait dans sa bouche chaque fois qu’il soufflait dans celle de Gauss. Le pouls d’Édouard demeurait faible et constant, mais il n’avait plus respiré par lui-même depuis sa dernière quinte. Si Hoshmand n’avait pas décidé d’imiter les mouvements suggérés par la corneille, Gauss aurait déjà suffoqué. L’oiseau était maintenant perché sur le panier renversé et lorgnait Hoshmand comme un contremaître sévère.
Cet animal n’était pas normal. Manifestation synchrone ou oiseau savant? La corneille avait fait non seulement preuve de cette apparence d’intelligence propre aux animaux de cirque, mais plus encore de compréhension… La créature était fascinante, mais les questions devaient attendre. Il souffla une fois de plus à même la bouche de Gauss.
Au bout d’une éternité à compter, souffler, cracher et recommencer, la nuit prit des teintes bleues et rouges. Une ambulance était apparue au détour du boulevard St-Martin. Hoshmand poussa un soupir de soulagement : même si les ambulanciers ne pourraient sans doute pas traiter la condition d’Édouard, ils pourraient au moins le protéger de l’arrêt respiratoire.
Deux hommes sortirent dès que le véhicule fut stationné. En quelques secondes, ils avaient commencé leur intervention. Le plus jeune maintenait un masque avec une sorte de soufflet contre le visage de Gauss pendant que l’autre étudiait son cou, sa mâchoire puis ses bras.
« C’est vous qui l’avez trouvé? », demanda le plus vieux en s’affairant. Hoshmand acquiesça. « Était-il inconscient?
— Oui, mais je ne sais pas depuis combien de temps. Il s’est étouffé pendant que j’essayais de l’amener se faire soigner. J’ai dégagé ses voies respiratoires et je lui ai fait le bouche-à-bouche. »
L’ambulancier jeta un regard au panier d’épicerie renversé juste à côté d’eux. Il haussa un sourcil, mais ne dit rien. Il demanda à Hoshmand de s’identifier, puis de répondre à quelques questions, entre autres s’il avait vu des indices de consommation d’alcool, de drogues, de produits allergènes, son lien avec le patient... Hoshmand répondit sans détour; il prit même un raccourci en se présentant comme un voisin.
« Hey, regarde », dit le plus jeune. « Je pense que c’est Édouard Gauss!
— Concentre-toi sur ce que tu fais. On va procéder à l’intubation trachéale. »
Le visage du jeune devint tout-à-coup sérieux. Hoshmand se dit qu’il devait à peine être sorti de l’école. Son partenaire agissait plutôt avec l’assurance du vétéran. En quelques instants, Gauss respirait au rythme de la machine qui lui soufflait de l’air directement au fond de la gorge. Leurs procédés sont moins longs que les nôtres, pensa Hoshmand. Et pas moins efficaces.
Ils levèrent la civière pour rentrer le patient dans leur véhicule. Le plus jeune resta auprès de lui, le vétéran ferma les portes et marcha tout droit jusqu’au siège conducteur. « On va l’amener.
— Et moi? », demanda Hoshmand.
« Vous n’êtes pas de la famille?
— Non.
— On va prendre le relais.
— Vous l’amenez où?
— Ochulque.
— Plaît-il?
— L’hôpital universitaire de La Cité. Coin 3e avenue et 3e rue. 
— Oh. » Au CHULC
L’ambulancier le salua d’un mouvement puis pris le volant. Hoshmand ne fut pas surpris de voir la corneille s’envoler à la suite de l’ambulance.
Quelle nuit de merde, pesta-t-il, tout en reconnaissant qu’à tout prendre, les choses auraient pu être pires.
C’est là qu’il se souvint qu’il se trouvait à la lisière du Centre-Sud, à pied et le dos en compote. Il continua à marcher vers le nord en dodelinant comme un pingouin, les deux yeux rivés sur l’écran de son téléphone qui affichait Réseau indisponible, espérant à chaque pas que la mention disparaisse.

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