Hill descendit les
marches, encore étonné par son œuvre instantanée. Les trois qui étaient un le
suivirent, sans dire un mot. L’homme au pistolet, quant à lui, choisit de
demeurer en haut.
Le couloir dans le
trou était devenu une grande pièce au plancher de marbre, lambrissé de boiseries,
telle qu’il l’avait voulue. La malléabilité de ce lieu était une véritable
merveille au potentiel infini.
« Est-ce… Tricane
qui a créé cet endroit? » Il utilisait le nom un peu à l’aveuglette. Il
lui était apparu au cœur de la masse d’information que la metascharfsinn lui avait révélée, dont les détails s’estompaient d’ailleurs
un peu plus à chaque seconde.
Les trois acquiescèrent.
« Savez-vous
comment elle s’y est prise? » Ils répondirent par un non de la tête simultané.
« Quels interlocuteurs loquaces vous faites…
— Au moins, nous, nous
répondons à tes questions », rétorqua le jeune homme… Timothée.
Hill haussa le
sourcil. Ah : ils attendent encore
que je précise la nature de cette œuvre dont je leur ai parlé. « Touché »,
répondit-il. « Avez-vous exploré ces couloirs?
— Un peu », dit
la fleur d’Orient Celle-là, il n’avait pas retenu son nom, aussi exotique que
son apparence. Elle semblait suivre la conversation à moitié, plus intéressée à
scruter le mur. Elle posa les mains sur les boiseries et pressa, comme pour
tester leur solidité. Sans surprise, la surface résista.
Ses deux collègues la rejoignirent.
Les trois se positionnèrent en triangle et levèrent les mains, synchronisés
comme un corps de ballet. Hill sursauta : une étincelle était apparue
entre les paumes de chacun. Le sol trembla; Hill agrippa la rampe de laiton,
stupéfié. Une nouvelle vague de l’odeur délicieuse envahit la pièce alors que
le mur du fond retrouva la consistance de la cire chaude.
Un nouveau couloir
apparut derrière, plutôt fruste comparé à la pièce créée par Hill : un
simple passage de béton, éclairé bien qu’aucune source lumineuse ne soit
visible, qui menait à une pièce plus grande… Les trois passèrent de l’autre
côté, à la queue leu leu.
Hill avait mal compris
la nature du lien qui unissait ces trois-là… Ils n’étaient pas sur le seuil de
la metascharfsinn : ils l’avaient déjà traversé. Mais
comment? Harré avait su le guider vers cette acuité supérieure en s’appuyant
sur une vie de pratique acharnée et de discipline mentale… Ces jeunots avaient
une maîtrise sans commune mesure avec leur expérience. Il y avait de quoi être
jaloux… Mais surtout, inquiet.
Personne n’est en
sécurité lorsque des enfants jouent avec de la dynamite.
Il s’engagea prudemment
à leur suite dans l’ouverture.
Les trois
s’affairaient à aménager le nouvel espace, le sourire aux lèvres et les yeux
écarquillés… Une grande salle commune prenait forme, meublée de tables et de
chaises, avec un dais à son extrémité… des portes de chaque côté menaient à des
dortoirs à lits superposés… Hill aperçut que le plus vieux des trois – Martin –
travaillait sur une grande cuisine…
Personne ne semblait
plus lui porter attention. Il retourna au pied de l’escalier. L’homme au
pistolet n’était plus visible en haut des marches.
Il s’engagea dans le
couloir au dallage méditerranéen qui reprenait juste au-delà de la pièce qu’il
avait créée. Une odeur vint titiller ses narines. Une odeur à la fois familière
et nouvelle…
Harré lui-même n’avait
pas réussi à expliquer pourquoi Hill percevait la magie via l’olfaction – ou
même ce qui expliquait que, pour lui, les diverses manifestations du surnaturel
possédaient une odeur distincte. Pour sa part, c’était difficile d’imaginer
comment les autres pouvaient percevoir les choses sans cette dimension qui était pour lui si caractéristique…
Le nez en l’air, il
s’engagea dans les méandres souterrains. L’odeur devint de plus en plus nette à
chaque détour, assez pour la reconnaître… Mais ce qu’il percevait était absurde
dans ce contexte.
Ça sent le Maroc. Plus précisément… La source tellurique que Harré
avait créée à Tanger…
L’odeur le conduisit
jusqu’à une zone sombre où le couloir se transformait en grotte. Quelques pas
plus loin, il émergeait du souterrain.
Il ne s’était pas
trompé. Le ciel noir, la végétation tropicale, mais l’odeur, surtout l’odeur…
Cette géniale Tricane avait déformé l’espace d’une manière complètement
inédite.
S’il pouvait découvrir
comment elle s’y était prise, s’il pouvait à son tour ouvrir d’autres voies
vers les Cercles de par le monde… À courte échéance, le rêve qu’il partageait
avec Harré pouvait devenir réalité.
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