dimanche 17 avril 2016

Le Noeud Gordien, épisode 416 : Laboratoire, 1re partie

Gordon tourna le coin alors que Félicia arrivait en direction inverse. Ils se rejoignirent devant l’entrée grillagée qui scellait le terrain vague sous lequel son laboratoire était caché.
Elle le surprit en laissant tomber les sacs qu’elle portait pour lui sauter au cou. Elle l’étreignit de toutes ses forces. Elle n’avait jamais été aussi effusive; le contact physique le fit tressaillir. Combien de temps depuis que quelqu’un, quiconque, l’avait tenu ainsi?
Félicia continua à le serrer longtemps après qu’il ait relâché son étreinte. On aurait cru qu’ils n’avaient pas été séparés un jour seulement.
« Tu t’en es sorti… Je n’arrive pas à le croire… Je craignais le pire… Et je ne parle pas que de l’arrestation…
— Je sais. » Félicia le relâcha enfin. « Je n’aurais jamais imaginé que la police en savait assez pour m’identifier, encore moins me boucler. Je n’ai qu’un seul regret d’avoir fui avant l’audience : ne pas connaître la preuve contre moi. Je vais devoir mettre la main sur le dossier d’enquête dès que possible.
— Aimerais-tu que je m’en occupe?
— Tu étais avec moi à l’aéroport, je te suggère plutôt de te faire petite. Et de créer le moins de remous possible. »
Elle se mordit la lèvre. « Gordon… À propos de remous… Je crois que j’ai fait une gaffe.
— En accusant publiquement Avramopoulos? Oui, c’était décidément une gaffe.
— Il ne m’aimait déjà pas… Maintenant, il doit me détester.
— Qu’est-ce qui t’as pris?
— Il semblait presque content lorsque j’ai raconté tes problèmes…
— Je sais exactement ce qu’il avait en tête : il devait s’amuser de ma maladresse, convaincu qu’il ne se serait jamais trouvé dans ce genre de pétrin. Félicia, souviens-toi toujours : le premier devoir d’un Maître est de préserver les secrets de notre art. Même si Avramopoulos aime parfois jouer avec le feu, il ne m’aurait jamais, jamais livré aux médias. Ç’aurait été… impensable. 
— J’ai peur qu’il parte en guerre contre moi…
— Ne t’inquiète pas. Tu es sous ma protection. N’en parlons plus : nous avons beaucoup de travail devant nous. » Félicia acquiesça et ramassa ses sacs.
Des crêtes et des vaux de boue séchée témoignaient des semaines de pluie qui avaient transformé le terrain vague en fondrière. Ils naviguèrent sur les trottoirs de fortune qui demeuraient les voies les plus stables pour se rendre à l’entrée.
Quelque chose clochait. Félicia remarqua la réaction de Gordon. « Qu’est-ce qu’il y a?
Il s’accroupit et tira sur le cadenas; il céda sans résister. Il avait été coupé. « Quelqu’un est entré.
— Quoi?! Qui?
— Bonne question. » Si des policiers avaient perquisitionné, il aurait sans doute trouvé un mandat scotché à la porte, ou peut-être des scellés bloquant la voie… Des cambrioleurs? Ils auraient été déçus : le laboratoire contenait peu de butin d’intérêt pour un non-initié… Quelques meubles, du matériel de chimie et d’alchimie, des ingrédients non étiquetés… De toute manière, quel brigand se serait soucié de remettre le cadenas en place? Son instinct lui soufflait que l’intrus était plutôt un initié.
Il souleva le panneau métallique, son esprit déjà en état d’acuité. « Reste derrière moi. » Ils descendirent l’escalier, à l’affût de tout.
Ils ne trouvèrent que du silence et du vide. Un premier balayage des lieux lui confirma que rien n’avait disparu. Cependant, Gordon avait ses habitudes, une certaine façon de disposer et de ranger ses affaires qui trahissait que certaines avaient été déplacées.
Le matériel qui avait été manipulé peignait un portrait clair de l’intrus : c’était le même qui avait servi pour accomplir le premier procédé émergeant d’Édouard Gauss.
« Alors? », demanda Félicia. « Est-ce qu’ils ont pris quelque chose? »
Expliquer sa déduction à Félicia ne ferait que compliquer la situation. « Tout est là. C’est à n’y rien comprendre. 
— Un cadenas à remplacer, ce n’est pas trop dramatique…
— Je ne suis pas à l’aise à l’idée qu’un indésirable sache où je travaille et entre à mon insu… Je vais devoir déménager, une fois de plus.
— Est-ce qu’on continue ici, ou…
— Il me tarde de tirer ma situation au clair. Allons de l’avant. » Son pouls s’accéléra. Il devina que c’était pareil pour Félicia. « C’est toi l’experte en impressions. As-tu des suggestions sur la meilleure façon de procéder?
— Toutes les autres étapes dépendent de la première : déterminer si, oui ou non, Harré est avec toi.
— Et comment comptes-tu y parvenir?
— Nous allons essayer de le faire parler… » 

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